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Reviewed by:
  • A History of Race in Muslim West Africa, 1600-1960 by Bruce Hall
  • Jean Schmitz
Bruce Hall
A History of Race in Muslim West Africa, 1600-1960
Cambridge, Cambridge University Press, 2011, XVII-335 p.

Bruce Hall publie un livre important au titre jugé provocateur pour le public francophone où il discute du concept de race dans un espace musulman, celui de l’Afrique de l’Ouest, du XVIIe siècle à 1960. Il a travaillé à partir de 1999 dans la boucle du Niger chez les Touaregs Kel Antassar, les Arabes Kunta installés au nord de Tombouctou et les Songhay riverains du Niger, dont il a appris la langue. Son projet est de s’intéresser non à l’identité de race mais à l’invocation de l’argument de race. Sa formation d’arabisant lui a permis de privilégier la littérature juridique des recueils d’opinions légales à travers les manuscrits arabes du centre Ahmed Baba de Tombouctou (Iheriab).

Dans les deux premiers chapitres, l’auteur démontre que l’argument racial en Afrique de l’Ouest n’est pas lié prioritairement à la couleur de peau, mais à sa transmutation «religieuse » par le jihâd, la blancheur dénotant l’ancestralité arabe (Arabic islamic lineage), la noirceur, l’esclavage. Cette mutation s’effectua au XVIIe siècle avec le savant de Tombouctou Ahmad Bâbâ (c. 1556-1627) qui, envoyé en exil au Maroc en 1593, fut autorisé à revenir dans sa ville d’origine en 1608 lorsque fut reconnue sa compétence de jurisconsulte. Peu après, sollicité par les commerçants du Touat sur la légitimité du commerce des esclaves provenant du Bornou, il élabora un traité sur l’esclavage, le Mi‘râj al-su‘ûd (1614), rassemblant les controverses de son temps, que l’on peut résumer à deux propositions.

Tout d’abord, il mit en cause la malédiction de Cham en reprenant Ibn Khaldûn qui, dès le XIVe siècle, attribuait le changement de couleur de peau au climat. Cette réfutation le conduisit à l’affirmation centrale du traité : [End Page 825] « Selon la sharî‘a, la seule raison pour être capturé est l’incroyance », capture qui n’est légale que lors d’un jihâd. Mais une autre proposition, dont B. Hall souligne ultérieurement la portée, stipule que, même si l’individu capturé devient musulman, cela ne change pas son statut d’esclave. À partir de ces deux prémisses, Bâbâ élabora une « ethnographie religieuse », comme l’appela John Hunwick 1, ou confessionnelle selon B. Hall, qui subit peu de modifications lors des jihâd du XIXe siècle.

Quant à l’ancestralité « arabe », la plus répandue remonte à ‘Uqba ben Nâfi‘ (m. 683), le conquérant arabe de l’Afrique du Nord qui appartient aux Quraysh, la tribu du Prophète. L’importance du personnage provient du fait qu’il aurait mené le jihâd contre les sûdân, les Noirs. Mais l’auteur ruine cet argument : le conquérant a mené des raids au Fezzan libyen mais non au-delà. En résumé, dans beaucoup de textes arabes, le qualificatif sûdân au sens de statut collectif légal apparaît en opposition aux «musulmans ».

B. Hall va plus loin que ce dualisme en traitant non seulement des victimes mais aussi de ceux qui capturent des esclaves en dehors du cadre légitime du jihâd. C’est le cas des Touaregs qui ont le statut légal de guerriers pillards ou mustaghraq al-dhimma, que l’on peut traduire par « ceux dont les avoirs ont été déjà consumés», car acquis illégalement. Ce statut est inférieur à celui des musulmans libres.

Dans les trois chapitres suivants, l’auteur décline l’idiome de la race utilisé par les Français lors de la conquête coloniale. Lorsqu’ils arrivent à Tombouctou en 1893, l’image des Touaregs était déjà fixée par plusieurs voyageurs. Celle-ci oscillait entre deux pôles : du noble chevalier du désert au pillard et au coupeur de route. Seule certitude, les Touaregs différaient des Arabes et...

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