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  • Marseille la violente. Criminalité, industrialisation et société (1851-1914) by Céline REGNARD-DROUOT
  • Laurence Montel
Céline REGNARD-DROUOT, Marseille la violente. Criminalité, industrialisation et société (1851-1914). Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2009, 363 pages. Préface de Jean-Claude FARCY.

Dans ce livre issu de sa thèse de doctorat18, Céline Regnard-Drouot propose une « histoire du recours à la violence dans les comportements conflictuels à Marseille » (p. 32), du Second Empire à la veille de la Grande Guerre, considérant l’ensemble des violences sanctionnées par les tribunaux marseillais, verbales (insultes) et surtout physiques (des coups aux assassinats). À partir d’une statistique des affaires jugées, elle défend la thèse d’une intensification du recours à la violence dans le règlement des conflits. Elle observe qu’entre 1851 et 1875, l’accroissement des comportements brutaux va de pair avec le recul des violences verbales (I), puis que les années 1875-1895 voient l’« enracinement des comportements violents » et l’essor inédit des violences impulsives ou « réactionnelles » (II). Enfin, de 1895 à 1914, la croissance de ces dernières est sans précédent, accompagnée par celles des crimes prémédités et des violences crapuleuses (III). [End Page 228]

Sans ignorer l’attitude des autorités locales et de l’État devant le phénomène – et notamment le durcissement de la répression–, C. Regnard-Drouot étudie d’abord les logiques de cette poussée violente, dans une perspective d’histoire sociale et culturelle adossée à une solide connaissance de l’histoire marseillaise. Dans l’introduction, qui condense la première partie de sa thèse, elle souligne les particularités économiques et sociales du terrain, et notamment une croissance fondée moins sur l’innovation que sur l’emploi d’une main-d’œuvre peu qualifiée et abondante, sans cesse alimentée par un flux migratoire essentiellement italien. Les ouvriers marseillais, relativement favorisés sous la monarchie censitaire, voient leurs conditions de vie se dégrader tout au long du second XIXe siècle. Les salaires réels stagnent, et pendant la grande dépression qui touche la ville de plein fouet dans les années 1900, le chômage fragilise plus encore des vies souvent « sans le sou » (p. 165). L’étude du profil des acteurs déviants et celle des situations criminogènes, à laquelle les dossiers judiciaires se prêtent particulièrement bien, dessinent un lien entre l’intensification des violences et l’aggravation de la précarité. Ainsi, sous le Second Empire, les auteurs de violences verbales sont issus de milieux relativement variés, mais à compter de 1875, les auteurs de violences physiques proviennent essentiellement du monde ouvrier. Parmi eux, les Italiens sont surreprésentés, comme le sont, après 1895, les jeunes, qui paraissent doublement victimes de la crise, à titre individuel et par ricochet, l’exemple de leurs pères conduisant certains d’entre eux vers des activités illicites comme le proxénétisme. En revanche, à la Belle Époque, la diversification des profils d’auteurs de violences jugés renverrait à une diffusion plus large des usages violents dans la société marseillaise ; ils deviendraient un marqueur du « creuset marseillais ».

Cette histoire des conflits violents, menée dans une perspective économique et sociale, n’est pas hostile aux interprétations culturelles. Si de nombreuses affaires, autour de dettes non réglées, de conflits professionnels, de mésententes entre voisins ou parents, renvoient aux situations précaires et aux dures vies des protagonistes, c’est la défense de l’honneur, ultime possession des plus pauvres, qui provoque le plus souvent le passage à l’acte. Par ailleurs, l’usage répandu des armes blanches à partir de 1875 est associé à l’immigration italienne. C. Regnard-Drouot y voit une culture importée qui se diffuse dans le monde ouvrier, jusqu’à ce que les armes à feu se démocratisent, après 1895. L’entreprise de démêlage des logiques culturelles et sociales de la violence – saisie ici globalement, et non à travers un seul type d’infraction – est un des points forts de cette recherche, qui met en cause...

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