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  • Des toxiques invisibles. Sociologie d’une affaire sanitaire oubliée by Jean Noël JOUZEL
  • Coline Salaris
Jean Noël JOUZEL. - Des toxiques invisibles. Sociologie d’une affaire sanitaire oubliée. Paris, Éditions de l’École des hautes études en sciences sociales, 2012, 240 pages. « Cas de figure ».

Si l’on cherche à saisir les multiples enjeux des affaires sanitaires liées à des expositions à des substances toxiques, l’ouvrage de Jean Noël Jouzel propose sans nul doute une approche éclairante. C’est à un groupe de produits peu connu et à une affaire « à bas bruit » – les éthers de glycol9 – que le sociologue a consacré cet ouvrage issu de sa thèse de doctorat, soutenue en 2006. Cette recherche ne constitue d’ailleurs qu’un des éléments du riche travail que Jean Noël Jouzel a entamé sur les questions de santé environnementale et de santé au travail. Le sociologue en apparaît justement aujourd’hui comme l’un des principaux contributeurs.

Comme l’indique son titre, l’ouvrage cherche à appréhender l’ignorance récurrente sur les questions mêlant santé, environnement et travail, dont les éthers de glycol ont constitué un exemple éloquent. S’il s’inscrit dans la lignée des nombreux travaux consacrés à ce champ d’étude, en abordant le phénomène d’incertitude comme un fait social, Jean-Noël Jouzel tente néanmoins de se démarquer. Plutôt que d’interroger la manière dont les individus mettent en place et mobilisent des savoirs pour reconstituer l’étiologie d’une pathologie, il s’attache à comprendre « les mécanismes qui mettent ces personnes en “mouvement” » (p. 14). Il propose d’inscrire les mobilisations dans « l’ordinaire de la vie politique », c’est-à-dire en montrant comment elles sont construites et contraintes par le recours au droit, les alliances politiques et locales, nationales ou globales, ou encore les modalités de l’action publique en matière de prévention des risques de santé environnementale (p. 15).

C’est donc autour d’une comparaison de deux espaces distincts, aux temporalités divergentes – les États-Unis et la France – que l’auteur construit cette sociologie d’une affaire sanitaire oubliée. L’intérêt revendiqué de cette comparaison est justement de confronter deux contextes politiques, juridiques et sociaux différents. Le travail étiologique opéré autour de ce même enjeu des risques sanitaires attachés aux éthers de glycol ne s’y est donc pas réalisé de la même manière, influant de fait sur les perspectives de carrière politique du problème. Aux États-Unis, la question des éthers de glycol soulève une première mobilisation collective au début des années 1990, à l’initiative des travailleuses des salles blanches10 de la Silicon Valley subissant un taux de fausses couches anormalement élevé. Cette première mobilisation conduit à la reconnaissance des éthers de glycol comme reprotoxiques, quelques années plus tard, accréditant l’existence d’un « effet salle blanche ». Ce débouché rapide est rendu possible par la réaction immédiate des industriels concernés qui investissent massivement dans la recherche toxicologique. Ainsi, les études scientifiques produites contribuent à réguler la controverse et à pacifier les rapports entre les firmes et leurs adversaires. Le milieu des années 1990 est cependant marqué par un retour de la controverse sur les éthers de glycol, grâce à une reformulation du problème par un groupe très engagé d’avocats californiens en charge de l’affaire. Au-delà des seuls éthers de glycol et de leur effet reprotoxique, l’effet cocktail des expositions à de multiples substances chimiques dans les salles blanches serait responsable de nombreuses pathologies. Dans une démarche de judiciarisation du problème, cette [End Page 219] formulation d’un deuxième « effet salle blanche » aurait ainsi permis de construire les responsabilités. Mais selon l’auteur, cette nouvelle stratégie contribue finalement à reléguer les éthers de glycol au rang de problème annexe. Parce qu’ils ont été pris en compte par les industriels, les risques sanitaires entourant les éthers de glycol sont en définitive assimilés à un alibi permettant de...

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