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  • La porosité au monde. L’écriture de l’intime chez Louise Warren et Paul Chamberland by Nicoletta Dolce
  • David Dorais (bio)
Nicoletta Dolce, La porosité au monde. L’écriture de l’intime chez Louise Warren et Paul Chamberland, Québec, Nota bene, 2012, 344 p., 29,95$

Dans son essai sur l’intimisme, concrétisation artistique de l’intimité, Nicoletta Dolce tient à corriger l’image que l’on se fait de cette notion. L’intimisme est communément vu comme l’expression d’un repli sur soi, d’un apitoiement sur sa propre émotivité, d’une individualité retranchée dans sa bulle. Il serait la plongée d’un sujet dans sa mémoire affective. Pourtant, soutient Dolce, le concept est double : il implique un regard sur son intériorité, mais aussi une ouverture sur le dehors, sur l’altérité, sur la « porosité du monde », c’est-à-dire sur ce qui, dans le monde extérieur, s’offre en creux et accueille la sensibilité personnelle. L’intimisme se situe ainsi à la croisée entre la petite histoire biographique et la grande histoire collective, notamment les drames planétaires qui ont pour effet d’interpeller, d’attendrir, d’indigner certaines subjectivités plus que d’autres.

Dans son premier chapitre, l’essayiste trace un parcours historique permettant de cerner l’apparition et le développement du sentiment de l’intime. Les prémices de celui-ci se trouvent à la Renaissance, avec l’avènement de l’individualisme, du protestantisme et de l’éthique du travail (selon les thèses classiques de Burkhardt et de Weber). La philo-sophie des XVIIe et XVIIIe siècles s’attache à la notion de singularité (avec la Monadologie de Leibniz par exemple). C’est la période de transition entre [End Page 228] l’Ancien Régime et l’époque moderne (fin XVIIIe-début XIXe siècles) qui marque l’éclosion du sentiment de l’intime, et de l’intimisme comme forme artistique. Plusieurs phénomènes sociaux du XIXe siècle consolident ce nouveau champ de sensibilité. La sécularisation, l’industrialisation, l’essor de la bourgeoisie et le capitalisme amènent l’individu à s’insulariser, ce qui entraîne un recentrement de la famille sur un noyau restreint, une montée des figures charismatiques, la privatisation de l’espace et la constitution du narcissisme.

Au XXe siècle, l’intimisme reflue d’abord à cause de certains mouvements politiques (comme le communisme), thèses philosophiques (la crise de l’humanisme) et courants littéraires (le formalisme). Toutefois, il revient en force à partir des années 1980, en raison du passage au postmodernisme, qui sous-tend une nouvelle vision de l’individu et du monde basée sur l’éclatement de la pensée unitaire (scepticisme, relativisme, fragmentation, négation des avant-gardes). Au Québec, à la même époque, l’effritement des idéologies collectives (féminisme, socialisme) et la désillusion nationaliste poussent des écrivains, notamment des poètes, à se tourner vers le lyrisme intime, mieux à même, selon eux, de rendre compte d’une nouvelle expérience du moi et du monde.

Le cœur du livre de Nicoletta Dolce est consacré à deux poètes québécois qui ont exploré avec conviction le domaine de l’intimisme. L’essayiste parcourt sans peine les différents niveaux de l’interprétation, passant d’une analyse scrupuleuse des textes (presque au mot à mot) à des observations générales sur la pensée de l’un ou l’autre des auteurs, sans oublier leurs constellations d’images.

Les œuvres de Louise Warren témoignent d’un approfondissement de trois axes majeurs de l’intime selon Dolce. D’abord, la réflexion sur ses propres sentiments : une quête identitaire se déroule dans les textes de Warren, faisant alterner les sensations de dédoublement, d’égarement et de perte de soi avec les bouleversements amoureux. Ensuite, l’ouverture à l’autre, l’établissement d’un lien avec une communauté, qu’elle soit familiale ou mondiale, l’intérêt porté à cette dernière passant par l’émoi devant les guerres et les carnages. Enfin, l’attention...

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