University of Toronto Press
  • « Veille créative » : Une nouvelle expression relative à une fonction informationnelle en émergence / “The Creative Watch”: A New Phrase to Reference an Emerging Informational Function
Résumé

Depuis les années 1980s, la veille informationnelle est reconnue en France par les pouvoirs publics et les entreprises. Ainsi, elle fut souvent présentée comme un atout important pour les entreprises au même titre que l’innovation. Au fil du temps et de ses applications des veilles spécialisées apparurent : veille technologique, concurrentielle, législative, stratégique, etc. En étudiant la relation qui lie veille informationnelle aux activités de création et innovation, il nous a semblé qu’une nouvelle veille émergeait depuis quelques années : la veille créative. Nous proposons dans cet article d’en montrer l’émergence et de la questionner.

Abstract

Since the 1980s Informational Watch has gained legitimacy in French government agencies and businesses. Informational Intelligence is often considered by companies as important an asset as innovation. Over time and through its applications, specialized forms of watch have appeared: technology watch, competitive intelligence, law or strategic intelligence. While studying the interaction of informational watch and creative activities and innovation, we concluded that a new form of watch—Creative Watch—had emerged in recent years. This article aims to show and question this emergence.

Mots-clés

créativité, innovation, emploi, veille concurrentielle, veille créative

Keywords

creativity, innovation, employment, competitive intelligence, creative watch

Introduction

La Veille est connue, formalisée et pratiquée en France depuis le début des années 1980, décennie durant laquelle apparaît l’expression « veilleur » (CNSA 2008). Depuis, elle se décline habituellement en veille technologique, marketing, commerciale, sociétale, concurrentielle et stratégique (Rouach 2010), mais il ne s’agit pas des seules. Dès les années 1980s, d’autres veilles plus spécifiques ou complémentaires sont aussi souvent mentionnées, telles que les veilles : brevets, financière, [End Page 205] juridique, législative, réglementaire, clients, produits, fournisseurs, image, environ-nementale, sanitaire, sectorielle ou sociale. Puis, durant les années 1990, le discours des professionnels de la Veille semble se structurer autour des expressions ci-dessus, avec pour seul ajout important : la veille territoriale (Goria 2009).

Dans le cadre de travaux de recherches sur les rapports existants entre la veille et l’innovation, nous avons découvert que quelques autres formes de veilles avaient aussi été proposées. Parmi celles-ci, la veille créative a particulièrement attiré notre attention. Depuis fin 2007, nous observons son évolution, tentons de mieux la comprendre et d’en saisir les spécificités. Dans le cadre de cet article, nous rendons compte de nos observations en nous interrogeant sur l’émergence d’une veille créative et de sa signification à partir des questions suivantes : cette veille créative estelle en cours d’émergence, est-ce l’expression la plus appropriée pour une fonction de veille en relation directe avec l’innovation, qui l’emploie, quels peuvent bien être ses objectifs et ses spécificités, comment peut-on la définir ?

Pour répondre à ces questions, nous commencerons par aborder l’historique de la veille créative pour en déduire ses significations possibles. Puis, nous présenterons l’évolution des offres d’emplois qui ont utilisé l’expression « veille créative » entre janvier 2008 et décembre 2013. Nous compléterons cette observation en la confrontant à celles d’autres types de veilles que l’on peut apparenter à de la veille créative. Ceci nous permettra de montrer quels métiers peuvent avoir une fonction de veille créative ou d’une autre veille de la même famille. Enfin, nous donnerons les résultats d’une enquête réalisée auprès de professionnels qui emploient l’expression « veille créative ». Nous présenterons comment ces professionnels définissent et perçoivent la veille créative, les outils qu’ils lui associent ainsi que les objectifs et particularités qu’ils lui prêtent.

Bref historique concernant l’emploi de l’expression « veille créative »

L’expression « veille créative » semble avoir été écrite pour la première fois en 1994 par Humbert Lesca (Lesca 1994) dans le cadre d’une enquête sur des expressions qui pouvaient convenir comme synonymes de « veille stratégique » ou d’ « intelligence économique ». L’année suivante, d’après l’encyclopédie en ligne Wikipédia, l’expression est employée par le cabinet d’innovation produit Capital Innovation et définie comme une étape de créativité, d’analyse et de contournement de brevets. En 1997, on retrouve cette expression dans la thèse de Carole Bouchard (Bouchard 1997) en tant que synonyme d’une veille stylistique qu’elle présente pour qualifier une veille appliquée à la création vestimentaire. Puis, il se passe quelques années sans que nous trouvions de traces de l’emploi de l’expression « veille créative » jusqu’en 2001. Dans un dossier consacré à l’évolution du marché du jeu vidéo Ghislaine Azémard signale que l’entreprise Havas Interactive avec le rachat des studios de création « Sierra et Blizzard s’assurent un savoir-faire et une veille technologique et créative d’envergure » (Azémard 2001). Un peu plus tard, lors d’un compte rendu des Rencontres e.magiciens 2004 à Valenciennes, le Studio 002 utilise l’expression « veille créative » pour qualifier la fonction d’une chasseuse de têtes pour les studios Dreamworks (Studio 002 2004). Ensuite, en juillet 2005, Marie-Jeanne Marti et Brigitte Tixier présentent les bureaux [End Page 206] de style comme des « agences de veille créative. Au carrefour du style et du design, du marketing et de la communication [...] (qui) transcrivent les tendances en cours et à venir » (Marti et Tixier 2005). En janvier 2006, dans une interview du journal Sud-Ouest cette expression est employée par un responsable de conception pour qualifier le suivi réalisé par son équipe de l’architecture d’intérieure et de la mode (Schwarz 2006). En 2008, la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA), dans un de ses rapports, signale que pour anticiper sur les évolutions technologiques, l’exercice d’une veille créative est nécessaire « pour penser les aides de demain » (CNSA 2008, 16). Cette même année, dans un mémoire de fin d’études de l’École du Design de Nantes, Pierrick Thébault définit la veille créative comme un outil d’aide à la création comme la veille stratégique est un outil d’aide à la décision (Thébault 2008). En 2009, Henri Samier commente les travaux de Pierrick Thébault en signalant que lorsque l’on souhaite faire le lien entre veille technologique et créativité : « veille créative est le terme auquel on pense en premier » (Samier 2009, 35). En 2009, François Rouet (Rouet 2009), dans sa synthèse du rapport d’étude « Création dans le jeu vidéo », utilise l’expression « veille créative » pour qualifier une action visant à renouveler l’inspiration et l’imaginaire des créatifs en s’appuyant notamment sur des séances de benchmarking et d’analyse critique. La même année, Laurent Simon parle de « veille créative » pour rendre compte d’une activité de surveillance du milieu underground et de ses collectifs créatifs par les entrepreneurs pour y trouver les idées nouvelles et les créatifs de demain (Simon 2009). Enfin, en 2010, Xavier Manga présente la veille créative comme la fonction principale des cabinets de tendances et de style (Manga 2010, 60). Désormais, de nombreux blogues et sites web emploient cette expression en faisant référence à l’une ou l’autre des différentes variantes citées cidessus. La question de l’apparition d’une nouvelle forme de veille nommée « veille créative » peut donc se poser.

Veille et veilles créatives

Fondamentalement, la veille a, par nature, pour objectif d’aider à détecter d’abord des innovations ou des opportunités d’innovation (Libmann et al. 2011). Toutefois, il semble qu’au fil des années et de la reconnaissance de veilles spécifiques, l’objectif de contribution de la veille à l’innovation soit passé au second plan. La norme expérimentale de l’AFNOR proposée à la fin des années 1990 a d’ailleurs défini la veille comme une : « activité continue et en grande partie itérative visant à une surveillance active de l’environnement technologique, commercial, etc., pour anticiper les évolutions » (AFNOR 1998). Or, d’après cette définition, l’objectif de contribution à l’innovation n’apparaît pas explicitement. Il y est tout au plus sous-entendu. C’est peut-être la raison pour laquelle, ces dernières années, des expressions telles que « veille créative » (Thébault 2008), « veille stylistique » (Bouchard 1997), « veille des tendances » (Raymond 2000), « veille artistique » (Mahe 2004, 212) et « veille des innovations » (Debizet 2007) ont commencé à être ponctuellement employées.

Afind’y voir plus clair parmi toutes ces nouvelles expressions, il nous a semblé que le suivi des offres d’emploi les employant nous permettrait peut-être de [End Page 207] savoir ce qu’elles recouvrent, identifier qui les utilise et où, si leur emploi est marginal ou pas et quelles en sont les tendances. En effet, déjà d’un point de vue sémantique, a priori l’existence de ces veilles peut se justifier. Si nous prenons le cas de l’expression « veille concurrentielle », celle-ci a un statut proche de celui de « veille créative » ou de « veille stylistique » puisque presque toutes les formes de veilles peuvent être qualifiées de concurrentielles. Ce constat est aussi valable pour les veilles artistique, esthétique ou stylistique. Une veille peut être technologique et concurrentielle, technologique et artistique (RNCP 2012), technologique et créative (Azémard 2001) ou technologique et stylistique (Samier et Christofol 2001). De même, si les veilles brevets et produits existent, il est difficile de refuser l’existence potentielle d’une veille des créations (Lecam 2010), des innovations (Debizet 2007) ou des tendances (Raymond 2000). Ainsi, il nous a semblé intéressant de nous tourner vers le marché de l’emploi pour estimer si ces expressions correspondaient à une pratique répandue ou non.

Veille créative et offres d’emplois ou de stages

Comme nous l’avons présenté ci-dessus, désormais il existe un groupe de chercheurs et de professionnels qui fait référence, au moins occasionnellement, à des veilles spécifiques en relation avec le monde de la création, de l’art ou de l’innovation. De même, si ces veilles n’ont pas qu’un intérêt pour une spéculation intel-lectuelle, elles doivent être employées dans un contexte professionnel. Ainsi, depuis janvier 2008, nous recherchons parmi les offres d’emploi rédigées en français un ensemble d’expressions qui peuvent être employées pour qualifier ces veilles. Nous avons entrepris ce suivi, par un parcours de la littérature complété d’un remue-méninges qui nous a permis de recenser 38 expressions différentes qui pouvaient être employées dans le sens qui nous intéressait. Il s’agit des expressions : « veille créative », « veille technologique et créative », « veille concurrentielle et créative », « veille stratégique et créative », « veille innovante », « veille de l’innovation », « veille des innovations », « veille des inventions », « veille de l’inventivité », « veille inventive », « veille technologique et inventive », « veille concurrentielle et inventive », « veille stratégique et inventive », « veille imaginative », « veille des créations », « veille des découvertes », « veille de(s) tendances », « veille de(s) nouveautés », « veille des idées », « veille artistique », « veille technologique et artistique », « veille concurrentielle et artistique », « veille stratégique et artistique », « veille stylistique », « veille technologique et stylistique », « veille concur-rentielle et stylistique », « veille stratégique et stylistique », « veille esthétique », « veille technologique et esthétique », « veille concurrentielle et esthétique », « veille stratégique et esthétique », « veille du design », « veille des acteurs de la création », « veille des activités créatives », « veille du monde créatif », « veille de l’univers créatif », « veille du monde artistique », « veille de l’univers artistique ». Sans être exhaustives, ces 38 expressions représentent de nombreuses possibilités d’emplois pour recouvrir, a priori, une grande partie lexique des veilles orientées directement vers l’art, la création ou l’innovation. Ces choix faits, nous avons recensé quelques sites français d’offres d’emplois qui pourraient nous servir de points de référence pour cette étude. Nous avons ainsi interrogé régulièrement [End Page 208] entre janvier 2008 et décembre 2013 les huit sites suivants : cadremploi.fr, cadreonline.com, emploi.trovit.fr, indeed.fr, keljob.com, monster.fr, njobs.fr et pole-emploi.fr. De plus, de façon à identifier des offres qui apparaîtrait sur d’autres sites dont des réseaux sociaux, nous avons aussi interrogé le moteur de recherches Google en précisant la période d’apparition des offres et croisant les expressions ci-dessus avec l’une et l’autre de ces deux expressions : « offre d’emploi » et « offres d’emploi ».

Figure 1. Nombre d’offres par expression entre janvier 2008 et décembre 2013.
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Figure 1.

Nombre d’offres par expression entre janvier 2008 et décembre 2013.

Après élimination des doublons, les résultats obtenus pour ces six années montrent que treize expressions parmi les 38 choisies ont été employées dans des offres d’emplois ou de stages (figure 1).

Compte tenu du faible nombre d’offres concernant les expressions « veille des créations », « veille des innovations » et « veille stylistique », nous les avons associé, pour les deux premières à l’expression « veille de(s) nouveautés » et, pour la dernière à la « veille de(s) tendances » en la renommant « veille de(s) tendances et stylistique » (figure 2)1.

Ensuite, nous avons analysé dans les détails les différentes offres collectées. Il s’est avéré que certaines offres concernant la « veille artistique » et la « veille de(s) tendances » posaient quelques problèmes d’interprétation. En effet, de très nombreuses offres (près de 50%) employant l’expression « veille artistique » concernaient des emplois d’enseignement artistique. L’expression complète utilisée est : « veille artistique et mise à niveau de sa pratique ». Cette expression vient apparemment du Guide de lEnseignant Artistique (ANPAD 2006). Or, si l’on se rapporte à ce référentiel, cette expression est assez ambiguë, car elle semble plutôt correspondre à une veille traditionnelle du type sectorielle appliquée à l’activité artistique et moins à ses productions et innovations. Nous avons donc restreint le nombre d’offres de « veille artistique » à celles précisant des activités d’innovation, de création, de recherche de nouveautés, d’identification de nouveaux artistes, de production de nouveaux spectacles, etc. Pour marquer cette distinction, nous [End Page 209] avons renommé cette catégorie d’offres : « veille de la création artistique », même si, telle que, cette expression n’a pas été employée. De même, l’expression « veille de(s) tendances » posait problème. De nombreuses offres faisaient référence à un suivi des tendances de consommation et d’autres à des tendances technologiques pour se mettre à jour dans une activité précise. Ces deux types d’offres pouvant se rapporter à de la veille marketing ou de la veille technologique, nous n’avons pas tenu compte de ces offres pour ne retenir que les autres. Nous avons renommé cet ensemble d’offres pour le distinguer du premier : « veille des ten-dances créatives et stylistiques ». Ces tris effectués, nous avons obtenu un ensemble d’offres relevant de veilles créatives (figure 3).

Figure 2. Nombre d’offres regroupées entre janvier 2008 et décembre 2013.
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Figure 2.

Nombre d’offres regroupées entre janvier 2008 et décembre 2013.

Figure 3. Nombre d’offres cumulées et épurées entre janvier 2008 et décembre 2013.
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Figure 3.

Nombre d’offres cumulées et épurées entre janvier 2008 et décembre 2013.

[End Page 210]

Figure 4. Évolution des offres d’emplois de veilles créatives entre 2008 et 2013.
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Figure 4.

Évolution des offres d’emplois de veilles créatives entre 2008 et 2013.

Pour compléter, cette analyse nous avons regardé l’évolution dans le temps des offres d’emplois concernant ces différentes veilles créatives (figue 4).

Nous avons ainsi pu constater que l’expression « veille créative » est celle qui augmente le plus régulièrement et qui est pour le moment la plus utilisée. L’année 2013 montre que les expressions « veille créative » et « veille des tendances » sont en train de prendre le pas sur les autres expressions (figure 5). Ne serait-ce que vis-à-vis de ces deux expressions, il nous semble que nous pouvons parler de « veilles créatives » plutôt que d’une seule.

Figure 5. Évolution cumulée des offres de veilles créatives entre 2008 et 2013.
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Figure 5.

Évolution cumulée des offres de veilles créatives entre 2008 et 2013.

Nous pouvons constater que la crise économique a aussi touché les activités professionnelles de veilles créatives, mais que malgré tout, depuis 2009, le [End Page 211]

Figure 6. Postes nécessitant une des veilles créatives entre 2008 et 2013.
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Figure 6.

Postes nécessitant une des veilles créatives entre 2008 et 2013.

[End Page 212]

nombre d’offres croît de manière exponentielle, même si pour 2013 cette croissance est fortement liée aux propositions de stages. Il nous a alors semblé intéressant de regarder quels étaient les intitulés des postes qui demandaient d’effectuer l’une de ces veilles créatives (figure 6). Ainsi, la figure 6 montre la répartition des emplois ayant au moins deux fois au cours des années 2008 et 2013 mentionné l’importance d’une activité de veille créative.

Nous retrouvons ainsi les métiers de l’art et du design en majorité, avec quelques surprises comme le poste d’ingénieur architecture réseau par exemple. Après une analyse plus attentive des offres d’ « ingénieur architecture et réseau » demandant une veille créative, nous avons pu constater qu’il s’agissait bien d’offres différentes pour lesquelles une veille des innovations ou une veille des nouveautés est précisée en plus d’une veille technologique. Nous notons donc qu’une grande variété des professions a besoin de l’une des veilles créatives.

Ensuite, nous avons étudié les villes où se situaient les postes à pourvoir pour chacune des offres. Si aucune tendance générale ne se distingue clairement en termes de localisation et de veille créative, spécifique ; certains constats peu-vent tout de même être faits. D’abord, Paris est largement la ville dominante pour les postes en veille créative (voir la figure 7). Ensuite, il n’y a pas pour le moment de zone géographique dédiée plus à une expression de veille créative qu’à une autre. Enfin, la France est le principal pays représenté, mais non le seul. Nous avons ainsi en 2008 trouvé des offres pour le Canda (9 offres), la Chine (2 offres), le Luxembourg (1 offre), le Maroc (1 offre) et la Suisse (1 offre).

La veille créative du point de vue des professionnels

Afin de compléter cette étude consacrée à la veille créative, nous avons recherché des professionnels qui employaient l’expression « veille créative » sur leur site web. Parmi ceux qui avaient employé cette expression, quinze représentants d’entreprises différentes ont accepté de répondre à nos questions concernant les caractéristiques d’une veille créative, ses objectifs, ses destinataires et les outils employés. Ces professionnels représentent, comme les offres d’emploi citées cidessus, une variété de métiers. Ainsi nous avons pu interroger : deux conseillers en communication, deux conseillers en marketing, deux concepteurs de supports de communication, deux web designers, un infographiste, un consultant en stratégie d’entreprise, un directeur artistique, un designer dans le domaine du textile, un chargé de veille, un chef de projets en actions culturelles et un spécialiste du coaching en créativité.

Une fois les réponses collectées, nous avons pu d’abord regrouper celles données à propos des objectifs de la veille créative (figure 8) et des moyens et outils qu’elle sollicite (figure 9). Ainsi, comme nous l’avions supposé, du point de vue des professionnels, la veille créative est bien perçue comme une veille dédiée à la création ou l’innovation (figure 8).

Du point de vue des outils et moyens qu’elle emploie (figure 9), la veille créative se distingue un peu moins d’une veille classique. Les nouveaux outils collaboratifs (flux RSS, réseaux sociaux et Twitter) sont bien cités, mais ils correspondent apriori à un changement d’utilisation du web et des outils de communication [End Page 213]

Figure 7. Villes proposant un poste en veille créative en 2013 (pour un total de 91 offres).
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Figure 7.

Villes proposant un poste en veille créative en 2013 (pour un total de 91 offres).

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Figure 8. Objectifs communs des sociétés qui effectuent une veille créative.
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Figure 8.

Objectifs communs des sociétés qui effectuent une veille créative.

plutôt qu’un changement de veille. Le suivi de festivals, d’expositions ou de vernis-sages ainsi que l’utilisation de techniques de créativité peuvent éventuellement distinguer la veille créative d’une veille technologique ou concurrentielle.

Concernant les destinataires d’une veille créative, nous avons pu les ranger dans quatre catégories différentes (figure 10). Ce qui nous permet de caractériser la veille créative comme une veille dédiée avant tout aux créatifs ou chargés de création, même si d’autres personnels peuvent aussi être intéressés par ce type de veille.

Figure 9. Outils, moyens ou techniques de veille créative.
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Figure 9.

Outils, moyens ou techniques de veille créative.

Finalement, nous pouvons conclure que la veille créative peut se définir selon deux niveaux d’exécution. À un niveau opérationnel, elle est dédiée à des personnels créatifs ou associés à des activités de développement ou d’innovation. Elle leur fournit une assistance pouvant comporter : une recherche d’idées de transfert de technologies, une surveillance de l’actualité des innovations et des créations, des informations au fort potentiel d’inspiration, un suivi des tendances et des usages. À un niveau stratégique, elle est destinée aux décideurs et chefs de [End Page 215]

Figure 10. Destinataires d’une veille créative.
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Figure 10.

Destinataires d’une veille créative.

Figure 11. Triangle de la veille créative
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Figure 11.

Triangle de la veille créative

projets pour leur donner des idées nouvelles afin que l’organisation qui les emploie puisse davantage se différencier, se démarquer, être plus attractive et plus compétitive. En fait, nous pouvons résumer les résultats obtenus avec le questionnaire sur la veille créative en proposant, sur le modèle des triangles des veilles technologique, commerciale, concurrentielle et stratégique proposées par Daniel Rouach (Rouach 2010), le triangle de la veille créative (figure 11). [End Page 216]

Conclusion

Comme nous l’avons montré, quelques veilles dont l’objectif est de contribuer plus directement à la création, l’innovation ou le suivi et l’anticipation des nouveautés commencent à être adoptées par les entreprises. Pour notre part, nous proposons l’emploi de l’expression « veille créative » de manière générique pour faire référence aux fonctions de veille créative, veille des innovations, veille des tendances créatives et stylistiques, veille des nouveautés et veille de la création artistique (veille artistique orientée création ou innovation). En effet, l’étude menée nous a confortés dans l’idée que l’expression veille créative était la plus employée et la moins ambiguë. De plus, si l’on suit la courbe de progression des offres d’emplois demandant des capacités de l’une ou l’autre des veilles créatives présentées dans cet article, nous pouvons supposer que d’ici quelques années ce seront des centaines de personnes qui effectueront une veille créative et la nommeront ainsi. La prochaine étape d’évolution de la veille créative est peut-être l’apparition de l’intitulé de poste de « veilleur créatif ». Au niveau géographique, nous pouvons désormais nous poser la question d’un lien entre le nombre d’offres ou d’emplois avec une fonction de veille créative pour une ville donnée et son statut de ville créative. En effet, Paris est cité par Richard Florida en tant que mégarégion pour la France et surtout l’Europe du point de vue de l’économie, de la créativité et de l’innovation (Florida 2008). De même, la question de l’équivalent de l’expression « veille créative » dans d’autres langues et notamment en anglais se pose. Pour notre part, nous n’avons identifiépourlemoment que l’expression anglaise creative competitive intelligence (Fitzpatrick 2003), mais comme cette expression est associée à des emplois de veilles illicites, elle nous semble peu appropriée pour être employée en tant que traduction de « veille créative ».

Stéphane Goria
Maître de conférences en Sciences de l’Information et de la Communication
Université de Lorraine, Laboratoire CREM
Département Informatique, IUT Nancy Charlemagne, 2 ter boulevard Charlemagne – CS 55227,F-54052 Nancy, France
Stephane.goria@univ-lorraine.fr

Note

1. Le cas de l’emploi des veilles « technologique et créative » et « concurrentielle et créative » est un peu différent. Ces expressions ont commencé à apparaître en 2013 et ne représentent que six offres. Nous n’avons donc pas pour le moment créé de catégorie spécifique pour ces dernières et nous contentons de les inclure parmi les offres employant l’expression « veille créative ».

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