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  • La pensée littéraire et la preuve, ou l’épreuve, du partage
  • Elodie Laügt

« Il y a des malentendus qui ne font que confirmer une suprême entente. »

F. Schlegel à Novalis

« Le romantisme ne nous mène à rien qu’il y ait lieu d’imiter ou dont il y ait à ‘s’inspirer’, et cela parce que—on le verra—il nous ‘mène’ d’abord à nous-mêmes1. »

LA NOTION DE « PENSÉE LITTÉRAIRE » soulève à la fois la question de ce que la littérature pense et celle de la manière dont elle est pensée. C’est la question qui est posée à la littérature et celle que cette dernière se pose et nous pose. Cette double question est en jeu, pourrait-on dire, dans tout texte, que ce soit de manière explicite ou non, dans la mesure où la question de la littérature, c’est-à-dire celle de sa définition en même temps que de ses enjeux et de son rôle ou de ses usages sociaux, occupe et travaille tout texte. Cependant, elle ne l’occupe pas de la même manière ni depuis le même lieu. Aussi, penser la littérature, c’est-à-dire la singularité de la littérature ou encore un Absolu de la littérature, ne cesse-t-il d’apparaître à la fois nécessaire et problématique. Si l’existence du « premier romantisme » comme l’appellent Philippe Lacoue-Labarthe et Jean-Luc Nancy ne fut que très brève, entre 1797 et 1800, ses répercussions n’auront cessé de se faire sentir bien au-delà de la dissolution du petit groupe d’Iéna. Ainsi, les auteurs de L’absolu littéraire ne manquent pas de souligner que le mouvement par lequel la littérature prend en charge ses propres questions ouvre la voie à la pensée blanchotienne du désœuvrement. De fait, pour Maurice Blanchot, comme le rappelle Michael Holland, l’essence de la littérature est de n’avoir pas d’essence2. La question de la littérature telle que Blanchot la conçoit est celle de sa possibilité. Si cette perspective implique que la littérature se soustrait à son objectivation comme à la définition de ses contours, c’est que la littérature est alors tout entière tournée vers sa propre question, en tant qu’elle est elle-même limite, comme on dit d’une expérience qu’elle est « limite » ou « extrême ». La littérature ne cesse de se risquer pour dessiner et redessiner la forme et les contours d’une certaine expérience, d’un rapport au monde et à l’autre. La question de la limite se pose alors doublement : c’est la question du possible, comme exploration des conditions de possibilité de la littérature ; et c’est la question du pouvoir, que Blanchot pose en termes d’impouvoir. [End Page 27]

Cependant, à cette première lecture du romantisme fait pendant une autre entreprise définitoire de la littérature, plus récente sans doute, mais qui elle aussi s’appuie, et revient sans cesse, sur la lecture des travaux du groupe d’Iéna et sur l’absolutisation de la littérature. Ainsi, Jacques Rancière identifie ce moment de prise en charge par la littérature des questions qui lui sont adressées—et tout particulièrement par la philosophie—comme le moment fondateur de la littérature au sens moderne, lorsque « le romantisme d’Iéna se caractérise comme la question critique de la littérature » (Lacoue-Labarthe et Nancy 14). De fait, Rancière conçoit ce moment de l’histoire littéraire et philosophique comme le départ du régime poétique de la mimésis, vers ce qu’il nomme « régime esthétique ». Le régime poétique est caractérisé par quatre principes auxquels doit obéir toute œuvre selon la conception héritée d’Aristote : « [p]rimat de la fiction ; généricité de la représentation, définie et hiérarchisée selon le sujet représenté ; convenance des moyens...

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