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Reviewed by:
  • Katrina, 2005. L’ouragan, l’État et les pauvres aux États-Unis by Romain Huret
  • Catherine Collomp
Romain Huret
Katrina, 2005. L’ouragan, l’État et les pauvres aux États-Unis
Paris, Éditions de l’EHESS, 2010, 231 p.

Romain Huret ne nous avait pas habitués à traiter de l’événementiel ni du temps court. Ses ouvrages ont porté jusqu’à présent sur les origines du changement social ou sur les permanences dans la société américaine. À la recherche de structures, de mentalités, il privilégie habituellement les causes profondes d’un phénomène social1. Il s’intéresse au contraire ici à un événement récent, une catastrophe naturelle d’une violence exceptionnelle qui provoqua la mort de 1 836 personnes, la disparition de 705 autres, l’abandon, encore cinq ans après les faits, d’une cinquantaine de milliers de maisons et d’une centaine de milliers de ses habitants. Non dépourvu de « doutes méthodologiques », R. Huret se garde de faire œuvre journalistique ou de tomber dans les clichés de la reconstruction mémorielle qui font du disparu, du survivant ou du témoin oral des figures clés de l’événement. En historien, il cherche plutôt « les principes de continuité » qui expliquent l’échec des pouvoirs publics à prévenir le désastre humanitaire et à secourir les personnes les plus fragiles. En fait, juge-t-il, la catastrophe révèle des transformations sociales ou structurelles déjà à l’œuvre dans la réalité. Elle n’a donc rien d’exceptionnel, éclairant une situation sous-jacente existante.

Historien de la pauvreté aux États-Unis, R. Huret concentre son attention sur « les gens de peu », les pauvres de la ville, ceux qui ne purent fuir, parce que l’ordre d’évacuation n’avait pas été donné ni ne fut organisé à temps, parce qu’ils n’avaient pas de véhicule (112 000 personnes sans voiture), parce qu’âgés ou de santé fragile ils craignaient aussi de perdre leur maison. Pour ces laissés pour compte qui furent rassemblés dans le stade, le Superdôme, au cœur de la ville, dans des conditions sanitaires scandaleuses, la catastrophe a joué comme un marqueur social, un révélateur de vulnérabilité. Parmi eux, les Afro-Américains des quartiers pauvres – qui comptent pour 67% de la population locale –, surtout ceux du Ninth Ward inondé par la rupture des canaux évacuant le trop plein du lac Pontchartrain, sont surreprésentés parmi les victimes (76 %). Les constatations sont amères : les pouvoirs publics, en particulier le gouvernement fédéral dont on attendait les secours, ont failli à leur rôle de protection des victimes. L’événement est perçu comme un « scandale civique », un abandon des pauvres présentés comme des « pilleurs » de supermarchés, surtout s’ils sont de couleur, alors que l’exécutif du gouvernement fédéral est en vacances.

Ce hiatus entre l’attente légitime des populations fragilisées et les carences de l’État n’est pas nouveau, explique R. Huret. Ou plutôt, il prend sa source dans la volonté des conservateurs au pouvoir depuis les années 1980 (présidence de Ronald Reagan, suivie de celle de George Bush père puis, après la parenthèse démocrate de Bill Clinton, du fils) de détourner les missions de l’agence de prévention des risques, la Federal Emergency Management Agency (Fema), en une agence de second ordre à mission essentiellement sécuritaire. Fondée en 1979 pour organiser la défense civile et la protection des populations lors de catastrophes, cette agence fut d’abord remaniée par Reagan pour gérer les risques liés à la menace terroriste (de la gauche radicale). Pendant la présidence Clinton, elle avait un temps retrouvé ses missions humanitaires principales, concentrées sur les risques naturels. Mais les attentats du 11 septembre 2001 furent l’occasion pour l’administration Bush de reconfigurer la Fema en une agence à priorité sécuritaire. Intégrée dorénavant au ministère de la Sécurité intérieure (Department of...

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