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Reviewed by:
  • Philanthropie en Amérique. Argent privé, affaires d’État by Olivier Zunz
  • Sabine Rozier
Olivier Zunz
Philanthropie en Amérique. Argent privé, affaires d’État
Paris, Fayard, 2012, 376 p.

Il manquait, dans la vaste littérature consacrée à la philanthropie aux États-Unis, un ouvrage capable d’embrasser la longue histoire des formes organisées et institutionnalisées de don, depuis l’émergence des pratiques charitables postérieures à la guerre de Sécession, dans les années 1870-1880, jusqu’aux investissements « sociaux » inspirés des pratiques du monde de la finance des années 2000, en passant par les programmes des grandes bureaucraties de l’action philanthropique (les fondations) des années 1930-1960. Hormis le livre, déjà ancien, de Robert Bremner et le collectif dirigé par Lawrence Friedman et Mark McGarvie 1, il n’existait pas de recherche à la perspective aussi large. L’ambitieux ouvrage que signe Olivier Zunz vient donc à point nommé pour combler cette lacune.

L’un des aspects les plus remarquables de la philanthropie américaine, insiste d’emblée O. Zunz, est son caractère massif et populaire. Loin d’avoir été l’apanage des élites fortunées, elle a progressivement irrigué l’ensemble de la société. C’est cette énigme de la « démocratisation » de la philanthropie au cours du XXe siècle qu’interroge O. Zunz tout au long de l’ouvrage. Comment le don – de temps, d’énergie, d’argent – a-t-il pu devenir un réflexe chez des individus de toute origine et de toute condition, au point qu’il constitue aujourd’hui l’un des traits les plus singuliers de la société américaine ?

O. Zunz souligne que ces pratiques sont nées du besoin éprouvé par les citoyens les plus modestes, au tout début du XXe siècle, de faire face aux aléas de l’existence et d’améliorer leur condition, en donnant régulièrement à des caisses œuvrant pour leur communauté. Les associations de masse se sont ainsi développées parallèlement aux fondations des riches magnats de l’industrie. L’essor des dons ne s’est pas simplement nourri de l’importation, dans la sphère philanthropique, des techniques d’investissement chères aux managers des grandes entreprises, il a aussi été alimenté par le désir des plus pauvres de se constituer une épargne collective, affranchie des bonnes œuvres des plus riches, qui constituait un filet de sécurité salvateur en ces temps exempts de toute protection sociale. Mais l’un des principaux apports de cette recherche est de montrer que la vitalité de la « société civile », que célèbre l’auteur, tire également sa force des dispositions réglementaires et judiciaires adoptées, tout au long du XIXe et du XXe siècle, par les juges et les autorités fédérales américains.

O. Zunz montre ainsi que le desserrement progressif, après la guerre de Sécession, des contraintes exercées par les juges sur les testateurs a joué un rôle prépondérant dans l’essor de la philanthropie. Une subtile distinction, établie en 1867, entre « la sensibilisation de l’opinion publique » (jugée légale) et « l’appel au changement de la loi en place » (jugée illégale) [End Page 291] permit ainsi aux tribunaux d’approuver des legs dont les auteurs avaient pris soin de masquer, derrière l’affichage d’une simple ambition éducative, leurs objectifs politiques – comme la volonté de lutter contre la ségrégation. L’introduction dans la loi, en 1934, de la distinction, établie par les tribunaux, entre « éducation » et « militantisme politique » consacra ce tournant jurisprudentiel, encourageant les Américains, et notamment les plus fortunés, à financer des activités en faveur du « progrès social ». Les déductions fiscales offertes aux auteurs de libéralités jouèrent également un rôle décisif, notamment à chaque fois que furent créés de nouveaux impôts (sur les sociétés en 1909, sur le revenu en 1913, sur les successions en 1934, sur les grands profits lors de la guerre de Corée...

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