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Reviewed by:
  • Au prisme de Rousseau : usages politiques contemporains by Céline Spector
  • Luc Foisneau
Céline Spector
Au prisme de Rousseau : usages politiques contemporains
Oxford, Voltaire Foundation, 2011, XI-298 p.

Le livre de Céline Spector offre à la fois une cartographie très réussie des principaux courants de la pensée morale et politique contemporaine et une réflexion philosophique brillante sur les métamorphoses de l’idéal moderne d’autonomie. Les huit chapitres de l’ouvrage peuvent se lire comme autant d’introductions à la pensée politique de la seconde moitié du XXe siècle : le marxisme, le libéralisme, l’école straussienne, l’école rawlsienne, la pensée communautarienne, le républicanisme, la théorie critique et la pensée féministe sont présentés tour à tour, de façon très claire, dans une perspective qui privilégie la question de leur développement interne, sans pour autant ignorer les relations souvent conflictuelles que ces courants ont entretenues les uns avec les autres. La dimension philosophique du propos se traduit dans la composition même du livre, les différents chapitres répondant chacun à sa manière à la question suivante : en quoi les penseurs du XXe siècle ont-ils transformé l’idéal moral et politique des Lumières ? Les réponses apportées permettent au lecteur de se repérer sur la carte des noms propres – auteurs et œuvres – que l’ouvrage dessine au fil de ses chapitres.

Le terme d’« usages », appliqué aux lectures contemporaines de Jean-Jacques Rousseau, possède une objectivité apparente à laquelle il ne faudrait pas se fier. L’intention générale est celle d’une neutralisation méthodologique de Rousseau, C. Spector déclarant ne pas vouloir « départager le bon grain de l’ivraie, les interprétations les plus rigoureuses des plus déformantes », mais « restituer les prises de parti, les grilles de lecture, les orientations, les omissions voire les distorsions » des « polémiques contemporaines ancrées dans la réflexion sur l’autonomie » (p. 11-12). « [P]oste d’observation irremplaçable » (p. 12), le Rousseau de C. Spector se veut un spectateur impartial de la philosophie politique contemporaine : à partir des différents usages qui ont été faits de l’œuvre, on devrait pouvoir comprendre la signification des thèses sur l’autonomie défendues par les huit écoles de pensée considérées. Comme un prisme décompose la lumière blanche en ses composantes de couleur, Rousseau aurait la vertu herméneutique de décomposer les grandes lignes de chacune des positions envisagées en autant de nuances théoriques : ainsi, derrière l’unité apparente du [End Page 286] marxisme, apparaîtraient des lignes contrastées et, dans certains cas, opposées (entre le matérialisme dialectique classique et celui de Louis Althusser, par exemple, auquel C. Spector consacre de très bonnes pages). L’image est forte, certes, mais pourquoi conférer à Rousseau l’exclusivité d’un tel statut ? N’est-ce pas, après tout, le propre des classiques d’aider à mieux comprendre leurs successeurs ? Il y aurait, toutefois, une singularité de Rousseau : sa position critique au sein des Lumières lui permettrait de révéler, mieux que les autres philosophes du XVIIIe siècle, le sens des thèses sur l’autonomie soutenues au XXe siècle. Ainsi Rousseau permettrait-il de « mettre à l’épreuve une nouvelle manière, méta-interprétative, d’opérer sur l’histoire de la philosophie » (p. 12). Dans quelle mesure, toutefois, cette fonction herméneutique accordée à Rousseau dans le cadre d’une approche renouvelée de l’histoire de la philosophie contemporaine estelle justifiée ? Est-il légitime d’en faire l’opérateur d’une approche objective des positions philosophiques en conflit sur le sens advenu du projet des Lumières ?

Les qualités éminentes de ce livre rendent d’autant plus nécessaire de se demander si l’usage qui y est fait de Rousseau est aussi neutre que l’on veut bien nous le dire. Si ce postulat pose problème, c’est que l’auteur met son...

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