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  • L’ouragan homicide. L’attentat politique en France au XIXe siècle by Karine Salomé
  • Emmanuel Fureix
Karine Salomé
L’ouragan homicide. L’attentat politique en France au XIXe siècle
Seyssel, Champ Vallon, 2010, 322 p.

La formule revient au chef de la police de sûreté sous Napoléon III : l’attentat devient au fil du XIXe siècle un « ouragan homicide ». L’assassinat isolé du souverain, adossé au modèle du tyrannicide, se mue graduellement en instrument de terreur visant des cibles de plus en plus indistinctes. La vague d’attentats anarchistes de la fin du siècle répond globalement à la définition par Raymond Aron de l’acte terroriste, dont les « effets psychologiques sont hors de proportion avec ses effets physiques » (p. 277). Les attentats, significativement, sont alors désignés par leur lieu (rue de Clichy, boulevard Saint-Germain, le restaurant Véry, le café Terminus) et non par leur cible. Le livre de Karine Salomé, portant sur la figure de l’attentat au XIXe siècle, de la rue Saint-Nicaise (décembre 1800) à l’assassinat de Sadi Carnot (juin 1894), aide à prendre la mesure de ce glissement. Un glissement progressif, dont le sens est d’abord politique : accompagnant le processus de politisation – dont il constitue l’envers –, l’attentat se fait de plus en plus « déclaratif » et affecte autant l’ordre politique et social en général que l’incarnation de l’État ou la dynastie régnante. Dès la monarchie de Juillet, souligne K. Salomé, les attentats ne sont plus seulement des régicides traditionnels contre un tyran détesté. Mais l’évolution est aussi technologique et culturelle, à l’évidence : l’invention de « machines infernales » (rue Saint-Nicaise en 1800, boulevard du Temple en 1835), la fabrication de grenades explosives (attentat d’Orsini en 1858 contre Napoléon III) et surtout l’usage de la dynamite à la fin du siècle démultiplient les victimes et sèment [End Page 260] une terreur indistincte qui tend à définir l’acte même de l’attentat.

Cet ouvrage prolonge une série d’études relatives à certains moments significatifs de l’histoire des attentats au XIXe siècle : l’assassinat du duc de Berry en 1820 (bel exemple de description dense par Gilles Malandain1 , les attentats d’Émile Henry (John Merriman) ou les attentats anarchistes en général (Uri Eisenzweig). Il introduit une continuité dans le siècle, autorisée par un retour aux sources primaires pour les événements moins étudiés (notamment les attentats contre Louis-Philippe) et par un bel effort de synthèse. Il ajoute une interprétation d’ensemble qui en oriente la lecture : la « propagande par le fait » n’introduit pas une rupture radicale dans l’histoire de l’attentat mais parachève une entrée graduelle dans le régime moderne de l’attentat, celui d’une violence totale, destinée à susciter la terreur et médiatisée à outrance. Il ajoute également une attention particulière aux sensibilités à la violence perpétrée ainsi qu’aux émotions provoquées ou mobilisées par les attentats. Il s’efforce enfin de tenir compte de la plasticité des définitions de l’attentat au XIXe siècle, tant dans l’ordre lexical (« entreprise contre les lois », selon Émile Littré) que juridique (violence contre le souverain, sa famille, ou l’ordre politique), pour retenir un critère essentiel : le débordement de la violence par « une dimension démonstrative, une volonté de produire un effet » (p. 9).

L’ouvrage évoque successivement les techniques de violence et leurs effets sur les corps « saccagés », les « émotions » observées, la figure nouvelle de l’« attentateur » et, surtout, l’intentionnalité du geste et ses interprétations possibles (« intentions »). Faute de place, contentonsnous d’en relever les aspects les plus intéressants à nos yeux. Le modus operandi des attentats manifeste l’importation de techniques de guerre et confirme la mise à distance croissante de l’« attentateur » et de sa cible, loin du corps à corps du porteur de poignard et de sa victime (encore observable toutefois avec Louis-Pierre Louvel en...

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