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  • Après le roi. Essai sur l’effondrement de la monarchie espagnole by Jean-Pierre Dedieu
  • Héloïse Hermant
Jean-Pierre Dedieu
Après le roi. Essai sur l’effondrement de la monarchie espagnole
Madrid, Casa de Velázquez, 2010, X-194 p.

Dans cet essai lumineux et stimulant, Jean-Pierre Dedieu s’attache à comprendre le passage d’un modèle politico-social à un autre. Il tente d’expliquer les mécanismes qui ont présidé en 1808 à l’implosion du plus vaste ensemble politique du monde, la monarchie espagnole, afin de déterminer les schèmes sous-jacents qui structurent l’Ancien Régime. Dans ce but, il recourt à un outil heuristique efficace, l’« économie des conventions ». Cellesci sont définies comme des règles implicites de fonctionnement social, mises en pratique de façon subconsciente, qui permettent aux individus de coordonner harmonieusement leurs actions. Ces conventions s’articulent en un système qui produit des valeurs et des comportements. En 1808, la convention royale, elle-même arrimée à la convention divine, est balayée par la convention nationale solidaire de la convention laïque. Brusquement, le roi n’est plus la clef de voûte de la société. Il n’est plus ce souverain absolu, que seul Dieu dépasse, médiateur réglant les conflits que lui soumettent ses sujets et, partant, orchestrateur de la paix sociale.

Pour penser ces situations de rupture, il faut réfléchir aux solutions que les acteurs inventent et à leur contexte. Selon J.-P. Dedieu, « en adaptant les conventions aux institutions et les institutions aux conventions et le territoire aux conventions et les conventions au territoire à la recherche d’une cohérence fuyante », les acteurs élaborent un nouveau jeu de conventions politiques (p. 6). L’essai propose donc au lecteur une histoire politique qui s’extrait d’un déroulement strictement mécaniciste et/ou téléologique des faits pour prendre en compte la contingence, l’inventivité des acteurs et le poids des valeurs, des normes et des lois sur les évolutions dans le court et dans le long terme. Par ailleurs, le choix de l’Espagne dans sa dimension impériale est primordial car il permet de souligner les interactions entre l’Ancien et le Nouveau Monde, dont la méconnaissance entrave fortement l’intelligibilité des phénomènes.

Au sujet de la convention royale, l’auteur montre en quoi le roi est le garant de la société, le responsable de la perpétuation des élites et le vecteur d’intégration des pouvoirs locaux. Il complète l’analyse en expliquant comment le royaume, dieu et l’Église se coordonnent autour de cette figure pivot. Pour J.-P. Dedieu, le royaume est « un agrégat de groupements humains créés par la volonté divine et qui lui préexistent, agrégat qui n’a d’autre vocation que de protéger et servir les corps qui le composent » (p. 89). Le royaume possède des institutions représentatives, les cortès, et s’ancre nécessairement dans un territoire. Quant au terme ambigu de pueblo, il désigne le peuple comme dépositaire de la souveraineté collective et aussi l’espace où la somme des souverainetés individuelles crée le politique.

L’auteur explore ensuite les dynamiques qui provoquent la chute de la maison Bourbon, en soulignant le poids de la contingence. L’édifice était branlant, déstabilisé par le contexte créé par la Révolution française, et Napoléon n’a fait que donner l’estocade. Devant ce vide [End Page 252] du pouvoir, d’autant plus prégnant et dramatique que la convention royale avait connu son paroxysme dans la péninsule Ibérique, les acteurs bricolent et innovent. J.-P. Dedieu retrace le cheminement et les effets des modalités pragmatiques de remplacement du souverain. Pour éviter l’effondrement total, les sujets dépassent les règles ordinaires de la politique au nom du bien commun. Cette infraction raisonnée de la lettre, ce passage à l’extraordinaire, loin de rompre avec l’esprit de ces règles, en est au contraire la condition de survie.

Cependant, cet...

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