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Reviewed by:
  • L’homme qui se prenait pour Napoléon. Pour une histoire politique de la folie by Laure Murat
  • Jean-Luc Chappey
Laure Murat
L’homme qui se prenait pour Napoléon. Pour une histoire politique de la folie
Paris, Gallimard, 2011, 382 p. et 16 p. de pl.

Comme semble l’indiquer le sous-titre de l’ouvrage, l’ambition de Laure Murat est de [End Page 245] rouvrir à nouveaux frais l’étude des relations, denses et complexes, entre, d’un côté, l’histoire d’une folie appréhendée dans ses dimensions les plus diverses (les malades, les médecins, les institutions thérapeutiques et les représentations) et, de l’autre, les crises et tumultes politiques qui scandent l’histoire de France entre la Révolution française et la Commune. L’objectif est louable, d’autant plus qu’il s’appuie sur une réaction salutaire, exprimée par l’auteur en conclusion, contre les dérives politiques et médicales contemporaines qui, de part et d’autre de l’Atlantique, tendent à fragiliser les structures de soins, à remettre en cause les principes humanistes du traitement de l’aliénation et à criminaliser un fou contre qui la stigmatisation s’ajoute à l’exclusion. Dès lors, entreprendre d’interroger l’histoire théorique, sociale et institutionnelle de la folie à la lumière des bouleversements du XIXe siècle peut permettre, dans la continuité des renouvellements récents proposés par de jeunes chercheurs (Jeanne Mesmin d’Étienne, Laurence Guignard, entre autres), de repenser les effets, toujours spécifiques, des crises politiques sur les formes et les modalités de mises à l’écart, d’exclusion et de stigmatisation de ceux qui sont considérés comme fous.

Plusieurs questions particulièrement stimulantes sont présentées en préambule : « Quel impact les événements historiques ont-ils sur la folie ? Dans quelle mesure et sous quelles formes le politique est-il matière à délire ? Peut-on évaluer le rôle d’une révolution ou d’un changement de régime dans l’évolution du discours de la déraison ? Quelles inquiétudes politiques et sociales les délires portentils en eux ? » (p. 13-14). L’enquête propose ainsi de comprendre et de mesurer les effets des crises politiques sur l’esprit des populations, la thèse défendue étant que la folie constitue un véritable phénomène politique, soit qu’elle advienne de la violence des événements, soit qu’elle représente un instrument efficace aux mains des autorités pour réprimer les opposants et les déviants. L’asile tel que l’hôpital de Charenton (Michel Vovelle l’avait montré pour le poète Théodore Desorgues1) sert ainsi de prison. Choisissant de prendre ses distances avec les approches classiques (Michel Foucault n’est quasiment pas cité), voire avec les débats des années 1980 (en particulier les propositions critiques de Gladys Swain et de Marcel Gauchet pour en rester à l’historiographie française), L. Murat étudie les formes de représentation de la folie et des fous en analysant, de manière croisée, les témoignages des malades et les discours tenus par les autorités politiques, administratives et médicales, s’appuyant particulièrement sur les études de cas réunies par les médecins nosographes du début du XIXe siècle (Philippe Pinel et Jean-Étienne Esquirol). Une des originalités de la démonstration est de mettre au jour l’articulation, considérée comme rupture et hiatus, entre les itinéraires biographiques individuels et les soubresauts de l’histoire. Certes, la méthode rend compte d’un réel souci de s’en tenir au raz des archives (pour ne pas dire un « goût » des archives qui aurait permis à l’auteur d’introduire au moins une fois une référence à Arlette Farge) et permet indéniablement de proposer au lecteur un récit plaisant, mêlant l’anecdote et le pittoresque (à travers les différents « cas » présentés, l’ouvrage fonctionne comme un musée de la folie), structuré autour d’épisodes et de...

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