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Reviewed by:
  • Gouverner c’est servir. Essai de démocratie medieval by Jacques Dalarun
  • Sylvain Piron
Jacques Dalarun
Gouverner c’est servir. Essai de démocratie médiéval
Paris, Alma, 2012, 456 p.

Dans cet essai riche et stimulant, Jacques Dalarun revient sur un sujet qu’il avait déjà abordé, sous un autre angle, dans un précédent ouvrage consacré à la question du pouvoir dans l’ordre franciscain1 : une expérience religieuse fondée sur le refus de l’appropriation et du pouvoir personnel plaçait l’organisation de masse qui en a résulté face à une aporie institutionnelle. La forme totalement renouvelée de l’enquête et de la problématique de ce nouveau livre, qui abandonne les textes normatifs pour l’examen de situations concrètes, n’est pas étrangère au fait que l’auteur a, entre-temps, dirigé plusieurs recueils importants de traduction et d’analyse de sources produites par ou consacrées à Robert d’Arbrissel, François d’Assise et, très récemment, Claire d’Assise2. De caractère volontairement fragmenté, cet essai se compose de trois gros articles, l’un inédit et un autre largement augmenté.

Le premier chapitre a pour motif central un épisode de la vie de Claire d’Assise, tel que rapporté par plusieurs témoins de son procès de canonisation. Alors que l’abbesse lavait les pieds d’une servante, celle-ci retira brusquement l’un d’eux, heurtant la bouche de sa supérieure, qui mena pourtant l’action à son terme en lui baisant le pied. L’histoire atteste tout d’abord un fait peu connu : les clarisses avaient des « servantes » vaquant à leurs nécessités matérielles, à l’instar des « convers » de la plupart des ordres monastiques du Moyen Âge central. Le fait s’explique par le caractère aristocratique d’un recrutement initial restreint aux seules familles nobles d’Assise. Si le lavement des pieds le jeudi saint est un rite habituel du monachisme médiéval, en y ajoutant le baiser, Claire rappelle en même temps le geste de la Madeleine, pécheresse embrassant les pieds du Christ, associant ainsi figures masculine et féminine. L’épisode, minime, est pris comme révélateur du paradoxe majeur du christianisme, religion d’un Dieu incarné et crucifié, constitutivement portée par une inversion des valeurs et dont le souverain pontife se décrit comme « serviteur des serviteurs du Christ ».

Élargissant la focale, le deuxième chapitre examine une série d’expérimentations institutionnelles qui ont cherché à donner corps à cette inversion des hiérarchies : l’installation d’une abbesse, choisie parmi les converses laïques et non les vierges, à la tête de Fontevraud comme successeur de Robert d’Arbrissel, auquel fait écho le projet d’un monastère double imaginé par Pierre Abélard pour le Paraclet ; la suprématie des convers sur les clercs dans l’ordre de Grandmont, source d’instabilité permanente ; la tentative avortée de Dominique, visant à confier, sur le même modèle, l’administration de l’ordre des prêcheurs aux convers afin que les frères lettrés se consacrent à la prédication ; le maintien pendant plusieurs décennies d’une telle inversion à la tête de l’ordre franciscain, qui associait clercs et laïcs sans distinction de statut, jusqu’à l’éviction de frère Élie en 1239 par un groupe de clercs, à la fois prêtres et universitaires.

La troisième partie se concentre à nouveau sur l’examen d’un épisode unique. Un commentaire suivi des cours de Michel Foucault de l’hiver 1978 sur le pouvoir pastoral introduit à l’étude d’une situation de pastorat minimal, mettant aux prises François d’Assise et son compagnon, secrétaire et confesseur, frère Léon. Le billet adressé par François à Léon, dont l’autographe fut pieusement conservé par ce dernier, est soumis à une minutieuse analyse paléographique et syntaxique qui permet [End Page 199] d’en renouveler la compréhension. Parlant « en tant que mère » (sicut mater), en refusant ainsi d’endosser toute figure d’autorité paternelle, François s’adresse par écrit à son...

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