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  • Guizot et l'Europe des nations : une âme aux différents caractères
  • Regina Pozzi (bio)

1. Pourquoi parler de Guizot ? Les raisons d'un choix

Il peut paraître étonnant que, dans le cadre d'un débat consacré au problème des caractères nationaux au XIXe siècle, je choisisse comme objet de mon étude François Guizot, un auteur dont l'apport au thème ne passe pas pour être d'un grand poids et qui, par contre, a travaillé plus que tout autre à définir l'espace d'une civilisation européenne commune. Il se trouve cependant que, dans son cours de 1828–1830 sur l'histoire de la civilisation, il a pour une fois dedié un assez long passage qui ne manque pas d'intérêt – on verra pourquoi – aux caractères nationaux des différents pays dont l'Europe se compose. Je dis « caractères », et non pas « âmes », un terme qui était pourtant en train de s’imposer dans cette première moitié du XIXe siècle pour définir l’« esprit » d’une nation, mais qui n'appartient ni au vocabulaire ni à l'outillage conceptuel de l'auteur (et il est assez clair que le glissement d'un terme à l'autre est justement une des questions, si ce n'est la question, que tout discours sur le nationalisme devrait nous poser).

C'est un passage qu'on lit dans la première leçon de la seconde partie du cours, c'est-à-dire la partie qui a pour objet – et pour titre – Histoire de la civilisation en France. Alors qu’au premier semestre 1828 l'historien avait parcouru à grands pas l'histoire de la civilisation en [End Page 73] Europe, de la chute de l'Empire romain jusqu'à la « révolution philosophique » du XVIIIe siècle, en reprenant son cours à la Sorbonne, à l’automne, il essaie de vérifier ce même parcours en le suivant plus en détail dans un pays particulier ; et il va sans dire qu'il choisit, dans ce but, la France. Or, pour justifier ce choix, il aurait pu s'en tenir à ce qu'il avait déjà dit dans l'Histoire de la civilisation en Europe sur les causes qui faisaient de la France « le centre, le foyer » de cette civilisation. Sa supériorité avait été alors attribuée à cet esprit de société dont avaient tant parlé les auteurs du XVIIIe siècle, en entendant par là sa capacité de jouer le rôle de médiatrice dans la diffusion des idées. « Il n'est presque, avait-il écrit, aucune grande idée, aucun grand principe de civilisation qui, pour se répandre partout, n'ait passé d'abord par la France1 ». Toutefois, en reprenant son cours, Guizot s'engage dans un nouveau chemin car, cette fois-ci, pour montrer la supériorité de son propre pays, il passe en revue les caractères des principaux pays de l'Europe (une Europe qui, c'est un détail à remarquer, tout à fait comme celle de Voltaire, ne comprend pas encore la Russie2).

Il s'agit d'un passage en revue remarquable sous plusieurs aspects, et que je n'hésiterais pas à définir comme un véritable tour de force intellectuel. Ou pour mieux dire : d'un côté Guizot semble se rallier à une analyse assez banale et ne partager nullement la curiosité anthropologique pour l'« altérité3 » dont avait été nourrie dans la génération précédente, pour se limiter à des exemples illustres, la pensée des Idéologues ou de Madame de Staël. Il ne semble reprendre en tout cas qu'un discours déjà bien assis dans la littérature. Car c'était depuis l'Humanisme que la notion de « caractère » était largement employée pour décrire les différents peuples européens ; et l'on devait déjà à David Hume de l'avoir profondément rénovée, dans son essai de 1748 Of the National Character, en la conjuguant par l'adjectif au lemme de « nation4 ». L’étude de Guizot est riche en lieux...

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