In lieu of an abstract, here is a brief excerpt of the content:

  • Marcel Proust et Gustave Moreau: du symbolisme à l’impressionnisme
  • Yae-Jin Yoo

Gustave Moreau occupe une place particulière dans les textes de Marcel Proust. Proust ne pouvait ne pas être insensible à Moreau qui a exercé une fascination considérable autant sur la scène littéraire que sur la scène picturale à la fin du XIXe siècle en France. Même si Proust n’a jamais connu Moreau directement, il a entendu parler de l’homme et vu des Moreau dans les collections privées de son entourage. Robert de Montesquiou, l’homme dont Proust se sert pour créer le personnage de Charlus, a écrit la préface du catalogue d’une exposition Moreau. Les Strauss qui étaient des intimes de Proust ont invité Moreau plusieurs fois à dîner et comptaient Sapho, Le Soir et la Douleur et Chanteur indien parmi leur collection. Charles Ephrussi, le directeur de La Gazette des Beaux-Arts dans laquelle Proust publie ses premiers textes possédait également plusieurs toiles du maître.1 Tout cela a incité Proust à s’intéresser au peintre symboliste et a conduit à la rédaction de nombreux passages où le nom et les œuvres du maître sont mentionnés. Ce qui est curieux c’est le fait que Proust attribue une place de plus en plus restreinte à Moreau avec le temps. Dans les textes écrits avant la rédaction d’À la recherche du temps perdu, les passages consacrés à Moreau le font apparaître comme le peintre qui incarne l’artiste idéal. Ses tableaux sont traités comme des œuvres dont Proust s’inspire afin de créer ses propres œuvres d’art. Mais dans La Recherche, Moreau disparaît en laissant la place aux autres peintres, réels et fictifs.

La plupart des auteurs ayant écrit sur la relation particulière que Proust entretient avec Moreau ont pensé que si Moreau disparaît dans La Recherche, c’est que Proust s’en sert comme modèle pour créer les personnages artistes. Pour certains, Moreau serait l’un de nombreux modèles d’Elstir, peintre [End Page 211] impressionniste qui renouvellera la vision du narrateur.2 La période mythologique qu’Elstir avoue avoir traversée renvoie indéniablement à Moreau. Pour d’autres, Moreau serait remplacé par Véronèse, peintre de la Renaissance italienne qui représente le luxe et la somptuosité vénitienne.3 Dans La Recherche, Véronèse fait figure d’opposition à Chardin, maître des toiles qui nous apprennent à voir la beauté des choses simples et quotidiennes. Alors que dans les textes précédents, Moreau était à l’opposition de Chardin, dans le roman il disparaîtrait pour laisser sa place à Véronèse. D’autres vont plus loin jusqu’à affirmer que Moreau serait derrière les artistes pratiquant d’autres arts que la peinture.4 C’est ainsi qu’il serait le modèle de Vinteuil, compositeur dont la Sonate devient l’hymne d’amour entre Swann et Odette. À la manière de Moreau, qui est passé par une période mondaine pendant laquelle il fréquente les lieux à la mode avant de s’enfermer chez lui pour se consacrer à la création, Vinteuil est présenté comme ayant connu ces deux périodes distinctes. Nous pourrions voir également certains aspects de Moreau dans Bergotte, l’écrivain qui subit une mort dramatique devant La Vue de Delft de Vermeer. Comme Moreau dont les œuvres survivent au maître dans la maison devenue un musée national, Bergotte connaîtra une résurrection. Pendant les funérailles de Bergotte, aux vitrines éclairées d’une librairie, ses livres veillent la nuit “comme des anges aux ailes éployées et [sont] comme le symbole de sa résurrection” (P 177).5 L’œuvre survivra à l’homme qui l’a créée.

Si toutes ces idées sont plus ou moins convaincantes pour expliquer l’absence ou la présence masquée de Moreau dans le roman proustien, ce qui est certain c’est le fait que dans La Recherche Moreau n’est pas une figure aussi imposante que dans les textes rédigés avant le roman...

pdf

Share