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  • Alexeï Tsvetkov et Laurent Fourcaut :Renouvellement du sonnet amoureux
  • Nadezda Vashkevich

La poésie contemporaine offre au lecteur et au poète une multitude de possibilités : le slam, le vers libre, la poésie formelle ou encore la poésie visuelle. Quoi que l’on choisisse, la riche tradition est là pour orchestrer de maints échos la nouvelle création, car aujourd’hui l’on écrit dans un espace multilingue et on emploie plusieurs systèmes de versification à la fois. En Russie et en France (mais aussi dans beaucoup d’autres pays), il y a des poètes qui se tournent vers le sonnet, le genre privilégié de la Renaissance, mystérieux et complexe, qui fêtera bientôt ses huit siècles d’existence. En dialogue permanent avec le passé, les sonnettistes contemporains se forgent un langage expert et examinent tous les aspects de la vie moderne.

Le noyau du genre est formé par le thème de l’amour qui s’est cristallisé graduellement. Abstrait chez les poètes siciliens, il se voit attribuer les caractéristiques de la « Pietà » dans la Vita nova de Dante. Il sera appelé céleste par Pétrarque, deviendra terrestre pour Ronsard et descendra aux enfers avec Baudelaire. Subissant maintes métamorphoses stylistiques, changeant d’argumentaire et de décor, le thème central se construit sur l’ambivalence de l’exaltation amoureuse et des extrêmes souffrances du poète-amant. Le conflit trouve une résolution dans une idée synthétique qui réconcilie l’instance lyrique avec son sentiment. L’amour dans le sonnet apparaît comme une métaphore universelle du monde. C’est un prisme et une mesure avec lesquels on approche toute chose. Mais comment parler de l’amour en termes modernes ? Comment évoquer le désir et échapper au piège du symbolisme de la psychanalyse ou à l’assimilation à un procédé publicitaire dont le marketing a tellement abusé ?

Deux poètes contemporains Alexeï Tsvetkov et Laurent Fourcaut rénovent le sonnet autant dans sa structure que dans le traitement de son thème-clef.

Alexeï Tsvetkov, poète et journaliste contemporain russophone, emploie des strophes de 14 vers. On retrouve chez lui des poèmes composés de deux, trois et quatre [End Page 147] strophes sonnettistes, aussi bien que des poèmes hétérostrophiques, où une strophe de 14 vers est suivie par une strophe de 10 vers. Le poème « En ce qui concerne l’amour—le paludisme est familier » [« Что касается любви—малярия мне знакома »] (1978) représente une séquence de trois demi-sonnets en anapeste tétramétrique, avec une césure masculine entre le deuxième et le troisième pied :

Что касается любви—малярия мне знакома.

Относительно весны, эскалаторов метро—

Убедительно прошу: объявите вне закона.

Что-то важное в бегах, что-то лучшее мертво.

Относительно весны—если есть над нами боги,

Я просил бы страшных зим, остроты минувшей боли,

Светопреставленья, что ли,—как ваш май неотразим !

Относительно стихов—эти будут не из лучших,

Не светиться, а зиять, как изнаночные швы.

Всю бы искренность сменял на любви мельчайший лучик.

Поражение за мной, победитель—это вы.

Кто приостановит бред, кто растопит ветер снежный ?

Видно, кто-нибудь из вас, доверительный и нежный,

Там, на площади Манежной, здесь— открывши на ночь газ.

Что касается души, относительно болота,

Обращающего в торф сотворенное расти,—

С приземленьем, шер ами, с окончанием полета,

С наступлением весны, с карамелькою в горсти !

Потолкайся меж людей, на вокзале, у парома:

Выбирают перемет в легкую ладью Харона,

Чей-то поезд у перрона, птиц осенний перелет.1

En ce qui concerne l’amour—le paludisme est familier,

Quant au printemps, aux escalators du métro—

Je vous prie instamment : déclarez-les hors la loi.

Quelque chose d’important est en fuite, quelque chose de meilleur est mort.

Quant au printemps—s’il y a des dieux au-dessus de nous,

Je souhaiterais des hivers terribles, l’acuité de la douleur passée,

L’apocalypse, enfin,—qu’est-ce qu’il est resplendissant, votre mai !

En ce qui concerne les vers—ceux-ci ne seront pas les meilleurs,

Ne brilleront pas mais bâilleront comme des coutures de dessous.

J’échangerais toute la sincérité pour un moindre rayon d’amour.

La défaite est à moi, le vainqueur—c’est vous.

Qui arrêtera le délire, qui fera fondre le vent glacial ?

Il faut croire que ce sera quelqu’un d’entre vous, confiant et tendre,

Là-bas, sur la place du Manège,—ici, en ouvrant le gaz pour la nuit.

En ce qui concerne l’âme, quant au marécage,

Qui transforme en tourbe ce qui a été créé pour grandir,

Bienvenu sur terre, cher ami, bonne fin de vol,

Bonne arrivée du printemps avec un bonbon dans le creux de la main !

Frotte-toi aux gens, à la gare, près du ferry :

On choisit de prendre la barque légère de Charon,

Voici le train de quelqu’un à quai, voilà la migration d’oiseaux d’automne. [End Page 148...

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