- Voyageurs dans la Régence de Tunis, seizième-dix-neuvième siècles by Denise Brahimi
“Pourquoi lire des récits de voyage?,” questionne Denise Brahimi, qui explique que la réponse “n’est pas si simple qu’il y paraît,” car il ne s’agit pas seulement d’acquérir un savoir; mais c’est surtout d’y trouver “autre chose” et “c’est ce ‘plus’ qu’il est intéressant d’interroger” (5). Au-delà de l’exotisme des récits, souvent accompagnés de photographies, gravures, cartes ou autres illustrations, le lecteur se trouve face à un récit tout en subjectivité, puisque ‘filtré,’ et bien souvent ‘enjolivé’ par la personnalité même de celui qui le raconte. Dans son étude, Brahimi nous offre donc de suivre non pas un, mais plusieurs voyageurs à travers leurs périples en terre tunisienne. De ces entrelacs de récits narrés par divers personnages (soldats, prisonniers, diplomates ou savants, les voyageurs européens dans la Régence de Tunis appartiennent à une gamme d’explorateurs aux profils très variés) naît une vision kaléidoscopique multidimensionnelle de la Tunisie que chaque texte nous fait découvrir sous un angle nouveau. Et Denise Brahimi, spécialiste des récits de voyage au Maghreb, nous avertit d’entrée: c’est, en effet, avec un esprit ouvert aux contradictions de toutes sortes que le lecteur moderne doit aborder ces textes. Car non seulement ces récits ne sont pas forcément [End Page 234] fiables, de plus le pays n’a pas cessé d’évoluer, particulièrement au cours des trois derniers siècles.
C’est en cinq chapitres, traitant chacun d’un thème différent, que Brahimi approche ces écrits. Il n’est pas question ici d’une chronologie des événements ayant modelé le pays, mais d’un recueil de textes pertinents à chacun des thèmes spécifiques traités par l’auteur.
Ainsi le premier chapitre nous fait-il découvrir l’histoire de la Tunisie, par le biais de certains épisodes et personnages historiques et littéraires majeurs ayant vécu dans le pays. Le lecteur suit Chateaubriand qui, achevant son Itinéraire de Paris à Jérusalem, s’extasie devant les ruines de Carthage, faisant revivre à travers les pages de son récit les guerres puniques et la défaite de l’infatigable et cruel Hannibal face à Scipion. Puis c’est le séjour tunisien de Flaubert à la Marsa, un demi-siècle plus tard, au printemps 1858, qui décide de se rendre sur les lieux où se déroule l’action de son Salammbô qu’il est en train d’écrire.
Le second volet de l’ouvrage nous instruit sur la géographie du pays à travers ses villes, ses sites historiques et les itinéraires d’explorateurs. Brahimi précise que, dès le seizième siècle, grâce aux opérations militaires européennes, puis, plus tard, au développement de l’esprit scientifique des Lumières, une vaste gamme de voyageurs déferle sur la Tunisie, donnant naissance à des descriptions géographiques plus ou moins détaillées du pays. Sa situation géographique aidant (la Tunisie est relativement facile d’accès, bordée par la mer au nord et à l’est), les comptoirs européens établis sur ses côtes donnent aux voyageurs d’excellents points de chute d’où ils peuvent se lancer à l’aventure. Alors, comme l’explique Brahimi, les dimensions du pays étant limitées, “il n’y a guère que quelques villes qui paraissent alors dignes d’intérêt” (47). C’est alors par l’archéologie et l’épigraphie, sciences très populaires aux siècles classiques, que l’on va apprendre à mieux connaître le pays.
Les défaites militaires apportent aussi avec elles leurs lots de vaincus qui, devenus prisonniers, ont désormais tout le loisir de relater leurs aventures dans le détail. Ainsi, l’Italien Bartholomeo Ruffino entreprend...