- Johnny chien méchant d’Emmanuel Dongala by Éloïse Brezault
Dans ce petit ouvrage critique qui, en fait, n’est pas aussi court que l’on pourrait le croire à première vue à cause de sa taille, puisqu’il se compose de cent dixneuf pages, Éloïse Brezault trace clairement ce qu’elle nomme le “parcours cosmopolite et citoyen” d’Emmanuel Dongala, premier chapitre qui, par de riches explications biographiques, géographiques et politiques, sert d’introduction à un texte profondément analytique et interprétatif sur Johnny chien méchant, le roman choc de 2002 de Dongala sur la guerre civile au Congo-Brazzaville. L’écrivain qui a vécu sur trois continents—l’Afrique, l’Europe et l’Amérique du Nord—réside désormais aux États-Unis où il s’est réfugié avec sa famille en 1998 et où il a pu écrire ce roman après s’être vu décerner la prestigieuse bourse Guggenheim. Si les romans de Dongala ont pour fond et comme constante la politique, l’auteur ne se réclame pas pour autant “porte-parole” de son peuple mais s’associe plutôt, dès 1979, à une sorte d’”écrivain populaire” ayant le “droit à l’indifférence” (15–16) à la différence de Mongo Béti, “l’écrivain du peuple.” Ses personnages dont la pensée mûrit et se transforme se révèlent révoltés et, surtout, remettent en question le monde qui les entoure. Tout au long de Johnny chien méchant, l’écriture et la réflexion de Dongala, qui ne se sent ni historien ni journaliste, restent à jamais marquées par le génocide du Rwanda. Or, sa démarche diffère de celle des écrivains africains chargés d’écrire par devoir de mémoire sur la tragédie du Rwanda, intellectuels qui, quelques années auparavant, ont participé au projet du Fest’Africa et ont visité le Rwanda. Brezault compare Dongala à Patrice Ngagang pour sa “littérature engageante” qui sort le lecteur de sa torpeur par la force de l’imaginaire et “creuse donc au plus profond de notre être, pour réveiller cette humanité inextinguible que l’horreur de la guerre et des génocides cherche constamment à éradiquer” (25).
Le livre comporte quatre autres chapitres d’une vingtaine de pages chacun. Suite à une étude de la représentation de la guerre civile dans le deuxième chapitre, Brezault va utiliser, dans le troisième chapitre, un point de vue bakhtinien pour analyser le récit polyphonique et dialogique narré de deux points de vue: [End Page 227] celui de Johnny, enfant-soldat bourreau, et celui de la jeune Laokolé, victime rescapée. Les voix des deux jeunes adolescents alternent et se confrontent tout en s’entrelaçant. Le quatrième chapitre qui porte sur la nouvelle cosmologie du monde étudie la parole syncrétique, met en question les discours publics et privilégie la parole féminine. Ainsi, Brezault nous mène habilement au cinquième et dernier chapitre qui se compose d’une réflexion magistrale sur les frontières postcoloniales, les discours identitaires et la légitimité de l’état-nation.
Dans le deuxième chapitre sur la guerre civile, la critique prend comme point de départ l’écriture féroce de la violence chez Sony Labou Tansi qu’elle compare à celle de Dongala, elle aussi marquée par la “désarticulation de la langue” (27). Toutefois, dans le roman, il n’existe aucun détail précis sur le lieu du conflit car Dongala brouille les repères géographiques. Si nous savons que l’histoire se déroule en Afrique, elle pourrait tout aussi bien se situer en Afghanistan ou dans un pays d’Europe de l’Est ou des Balkans. Les enfants-soldats aux noms de héros américains subissent l’influence des films d’action et des jeux vidéo. Se croyant dans une scène de film, ils jouent à la guerre (30) et perdent contact avec la réalit...