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  • Fictions déjouées: le récit en trompe-l’œil au XVIIIe siècle par Zeina Hakim
  • Nathalie Ferrand
Fictions déjouées: le récit en trompe-l’œil au XVIIIe siècle. Par Zeina Hakim. (Bibliothèque des Lumières, 80.) Genève: Droz, 2012. 312 pp.

Placé sous le signe de Borgès, l’ouvrage de Zeina Hakim est une substantielle enquête sur l’expérience fictionnelle comme espace de jeu dans les textes du XVIIIe siècle. Les œuvres prises en compte sont des romans (romans-mémoires de Courtilz de Sandras, Lesage, Prévost, Marivaux), mais sont inclus également les Salons de Diderot dans la mesure où cet auteur a recours à des fictions (des contes) pour décrire les tableaux à son lecteur. Hakim ne dissimule pas le caractère discontinu du parcours chronologique choisi, entrois étapes: 1687, 1715–38, puis 1759–81. Après un essai introductif approfondi qui prend le temps de définir l’ensemble des notions qui serviront l’analyse (la [End Page 250] notion de ‘fiction’ y est richement éclairée, à la fois historiquement et dans son emploi critique contemporain), deux chapitres de même longueur envisagent la morphologie ludique des œuvres étudiées. Sont successivement analysées deux postulations contraires des romanciers: ‘La “Fiction du non-fictif”’ (formule de Jean Rousset) par laquelle les auteurs jouent à faire vrai tout en envoyant des signes de connivence au lecteur; ‘La Fiction avouée’, mouvement où la cohérence de l’histoire est contrariée par des inadvertances et des erreurs de construction qui seraient délibérées selon Hakim, et viseraient à empêcher de croire à la réalité des faits racontés. Assez bref, le dernier chapitre (‘Le Lecteur mis en jeu’) envisage la question depuis le point de vue du lecteur et demande, sous la forme d’un bilan critique depuis la parution de Lector in fabula de Umberto Eco (1979), comment le lecteur coopère à la production du texte dans ce tiraillement entre le croire et le ne pas croire. L’ouvrage s’achève sur un épilogue paradoxal (‘Balle de jeu’) où les théoriciens cherchant à définir l’expérience fictionnelle au contact des textes d’Ancien Régime sont renvoyés à ‘un constat d’incapacité’ (p. 258). L’espace de jeu des romans est devenu un espace critique où ‘les interprétations se juxtaposent, les points de vue se contredisent et les voix se multiplient, provoquant doutes et hésitations généralisées. Car le pouvoir de la fiction tient essentiellement à la division, à la dissolution et à la dispersion’ (p. 262). Une bibliographie et un index complètent le tout. Cette intéressante étude sur les ‘programmes de vérité’ (d’après le terme de Paul Veyne dans Les Grecs: ont-ils cru à leurs mythes? (Paris: Seuil, 1983)) mis en œuvre dans les fictions du dix-huitième siècle n’est pas sans appeler quelques questions: la figure du lecteur ‘dérouté’, ‘perturbé’ souvent mentionné par Hakim n’est jamais historiquement déterminée. Or une psychologie est-elle transhistorique? S’agit-il du lecteur d’aujourd’hui ou de celui de l’époque? La réponse engage une partie de la validité de l’enquête et quelques témoignages sur l’expérience de lecture au dix-huitième siècle (par exemple, Mme de Graffigny lisant Prévost) plutôt qu’au vingtième siècle auraient pu être mobilisés. On regrettera la quasi-absence d’une analyse de La Nouvelle Héloïse, mentionnée seulement en note (p. 245), alors que la question de la ‘fiction’ dans les préfaces y est un point crucial.

Nathalie Ferrand
École normale supérieure-CNRS
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