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  • L’aube d’une révolution : Margueritte, Algérie, 26 avril 1901 by Christian Phéline
  • Alain Messaoudi
Christian Phéline, L’aube d’une révolution : Margueritte, Algérie, 26 avril 1901, Toulouse, Privat, 2012, 248 pages. Préface de Benjamin Stora. « Histoire ».

Radiographie de l’Algérie du début du XXe siècle à travers un événement marquant aujourd’hui tombé dans un oubli relatif, la « révolte » de Margueritte, ce livre d’histoire très soigneusement documenté et solidement charpenté offre au lecteur un éclairage sur les résistances à l’occupation française et permet de mieux comprendre les apories de la domination coloniale. Un vendredi d’avril, à Margueritte, un village viticole en contrebas du mont Zaccar, au sud du Dahra, alors que la région était considérée depuis longtemps comme « pacifiée », l’ordre social imposé par la colonisation française a été renversé pendant quelques heures. À la suite du meurtre du garde-champêtre et après l’intervention maladroite de l’administrateur adjoint de commune mixte, bientôt fait prisonnier, un groupe d’hommes qui projetaient d’aller en pèlerinage auprès d’une zaouïa de l’Ouarsenis se rendent maîtres des Européens qu’ils croisent, tuant les hommes qui se refusent à professer la foi musulmane en pro-nonçant la chahâda, à revêtir le burnous et à les suivre. Après avoir imposé sa loi au village, le cortège est défait par la troupe dans la montagne et se disperse. On compte cinq morts parmi les Européens. S’ensuit une violente répression, l’arrestation de plusieurs centaines d’hommes et un procès largement médiatisé, les avocats des 125 prévenus ayant obtenu leur renvoi devant la cour d’assises de l’Hérault pour leur [End Page 123] éviter d’être jugés à Alger par des jurés européens hostiles. Près de deux ans après les faits, sur la centaine de prévenus survivants – une vingtaine sont morts de maladie en prison –, plus de quatre-vingts sont acquittés. Les « meneurs » ne survivent que quelques années à leur transport vers les bagnes de Cayenne.

À partir d’une enquête précise sur le déroulement de l’action, ses conséquences et ses motifs profonds, l’auteur montre comment ce qui aurait pu ne rester qu’un simple fait divers s’est transformé en un événement de portée politique. Son récit historique prend la forme de dix courtes séquences chronologiquement ordonnées, dont les intitulés sonnent comme les intertitres d’un film muet : assaut ; représailles ; accusation ; débats ; détention ; procès ; verdict ; acquittement ? ; bagne ; mémoire(s). L’encadrent une ouverture (« Il y a une révolution ! ») et un finale (« intifada ») qui permettent de présenter l’événement tout en interrogeant les noms (révolte, révolution, insurrection) et les significations (économiques, sociales, politiques, religieuses) qu’on a pu lui donner.

Selon une méthode qui s’apparente à celle de la microstoria, Christian Phéline décrit avec finesse les personnages et les décors du drame et, tirant profit de lectures anthropologiques, offre une « description dense » des interactions sociales à Margueritte (mais aussi à Alger, à Montpellier, voire à Cayenne, où l’action se déplace). Attentif aux détails révélateurs (les Européens se font tuer parce qu’ils ne comprennent pas ce qui se passe ; lors du procès, on attribue aux inculpés des numéros plutôt que de s’adresser à eux par leur nom, jugés trop difficiles à distinguer), il prête l’oreille à la voix des acteurs, « colons » et « indigènes », sans occulter la disproportion avec laquelle leurs paroles ont été rapportées, les unes amplifiées par la presse coloniale et les élus, les autres n’étant le plus souvent perceptibles que par le truchement d’interprètes et à travers les réinterprétations de porte-parole français. Les traits qu’il dégage de ces observations précises lui permettent d’inscrire l’événement dans une histoire longue de la domination coloniale en Algérie. Il constate...

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