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French Forum 28.3 (2003) 101-117



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Le Japon depuis la France de M. Butor
Un texte néo-japoniste tendu entre hypertexte et orientalisme

C(h)ris Reyns-Chikuma
Lafayette College


L'œuvre de Michel Butor semble en expansion constante. Depuis ses débuts en 1954 avec Passage de Milan, il aurait publié plus de 300 ouvrages. Si ses récits des premières années étaient classés "nouveau roman", avec le recul, on s'aperçoit qu'ils n'en étaient pas moins des romans. En revanche, les livres de sa période plus récente comme Transit ou Avant-goût semblent moins facilement classables. Pourtant, très tôt, Butor paraît avoir été obsédé par la notion de classement. Il a très vite travaillé (écrit et publié) en "série": répertoires, illustrations, génies du lieu,..., un grand nombre de ses œuvres sont suivies de chiffres romains, de I à IV ou V. Le texte dont il est question dans cet essai, Le Japon depuis la France: un rêve à l'ancre (1995), appartient en fait à diverses séries à la fois.1

Si le ludisme littéraire se définit comme un jeu avec les structures du texte (que celles-ci—des sons aux chapitres—soient le résultat de contraintes volontaires ou non), alors l'œuvre butorienne peut se définir comme ludique.2 Dans mon article, je me propose de montrer que le ludisme de ces séries n'est ni gratuit, contrairement à leurs éternels détracteurs hussardiens, ni nostalgique du "vieux" livre, contrairement aux "tracteurs" des nouvelles tendances (que ce soit l'Oulipo enfin devenu "populaire", ou l'hypertexte).3 Ce ludisme a en fait pour but de déconstruire des préjugés sur le livre et sur le grand livre du monde, qui dans ce texte est le "Japon". Je montre comment par l'organisation ludique Butor recycle les stéréotypes "orientalistes" du Japon pour mieux les déconstruire. Ce recyclage intertextuel est fait d'une intratextualité qui renvoie à ses propres livres; et d'une double extratextualité. La première est occidentale, citant des textes écrits sur l'Autre japonais (Loti, Claudel, etc.); la deuxième cite des exemples d'œuvres [End Page 101] littéraires, picturales, "architexturales" japonaises. Butor cherche ainsi à recycler le livre en un objet qui peut être lu multidimensionnellement comme les livres éternellement recyclables des Queneau, Borges, et autres "génies du lieu textuel". Mon essai a donc pour but paradoxal de classer cet in-classable qui oscille entre "prose poétique, fiction d'essai, essai poétique, essai ludique", et autres oxymorons.

Si l'orientalisme peut être défini simplement comme "la représentation stéréotypée de l'autre qui permet une justification de l'impérialisme occidental", au premier abord, le texte de Butor que je vais considérer ici semble coupable d'une telle "réduction de l'Autre". La première "errance" de Butor pourrait être de ne pas faire une seule référence à l'un des textes fondateurs de la critique orientaliste: soit directement à l'Orientalism de Edward Said ou tout au moins à une autre œuvre saïdienne ou pro-saïdienne.4 Or Le Japon depuis la France est explicitement une réflexion sur la représentation du Japon par des auteurs aussi orientalistes que Pierre Loti et des œuvres aussi ambiguës que celles de Claudel ou Barthes; de plus, l'œuvre contient une bibliographie critique. Cette absence peut difficilement être le résultat d'une simple négligence puisque Butor a prouvé de nombreuses fois combien il était un lecteur encyclopédique, savant et multilingue. Pourtant, même si l'absence de référence à l'œuvre saïdienne me semble être une erreur (courant le risque ainsi de reproduire les erreurs des textes qu'il critique), elle doit aussi être comprise comme une ouverture. Cette échappée se fait tant sur le plan formel que sur le plan idéologique, et tant...

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