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Reviewed by:
  • Notre-Dame du Nil by Scholastique Mukasonga
  • Alexandre Dauge-Roth
Mukasonga, Scholastique . Notre-Dame du Nil. Coll. Continents Noirs. Paris: Gallimard, 2012. ISBN 9782070133420. 342 p.

Après avoir abordé l'histoire du Rwanda à travers des récits personnels comme Inyenzi ou les cafards (2006) ou La Femme aux pieds nus (2008), Scholastique Mukasonga continue sur la lancée fictionnelle inaugurée dans L'Iguifou. Nouvelles rwandaises (2010). Adoptant le mode du huis clos, Notre-Dame du Nil explore le climat sociopolitique des années précédant le coup d'État de 1973 qui vit Juvénal Habyarimana prendre le pouvoir pour ne plus le lâcher jusqu'à son assassinat en avril 1994. Le roman de Mukasonga se pose ainsi comme une généalogie qui œuvre à faire entendre les tensions sociales et politiques qui marquèrent la première République sous le régime autoritaire et ethniste de Grégoire Kayibanda—l'un des membres fondateurs du Parti de l'Emancipation du Peuple Hutu (PARMEHUTU). À travers une riche galerie de personnages et une intrigue où solidarités et conspirations ne sont pas jouées d'avance, Mukasonga montre comment l'opportunisme politique et la soif du pouvoir ont corrompu les imaginaires, défait les liens claniques et perverti les repères traditionnels pour laisser place à une société où la relation à autrui tend à être de plus en plus définie par la suspicion, le ressentiment historique et un climat où la peur de l'autre prévaut sur le désir de sa rencontre.

La place prépondérante accordée aux dialogues entre les personnages fait que la narratrice devient une voix parmi d'autres, ce qui oblige le lecteur à évaluer lui-même les motivations et la véracité des propos tenus. En optant pour cet univers polyphonique qui accorde aux différents personnages un droit de regard sur la société rwandaise, l'écriture de Mukasonga se veut à la croisée des voix et des visions hétérogènes qui débattent dans les années soixante-dix pour la représentation légitime de la société rwandaise. Dès lors, dans ces dialogues où l'essentiel réside souvent dans l'implicite, le non-dit ou l'allusion, ce qui est en jeu c'est la reproduction ou la contestation des positions sociales des locuteurs et la lutte pour l'imposition d'une parole légitime. La place centrale accordée au dialogue dans ce roman contraint ainsi d'une part à réfléchir sur le contexte sociopolitique où ce qui est dit peut l'être et, d'autre part, à ne jamais tomber [End Page 257] dans une perception stéréotypée et monolithique de la société rwandaise. La primauté du dialogue permet ainsi à Mukasonga d'éviter le piège des généralisations abusives—"les Rwandais pensent que . . . Les Tutsis croient que . . . Les Hutus sont persuadés que . . ."—énoncés qui ne peuvent accoucher que de stéréotypes niant les dialogues internes à chacune des communautés en présence tout comme la richesse du dialogue entre ces communautés.

L'action principale de Notre-Dame du Nil se déroule dans un lycée catholique de jeunes filles perché à deux mille cinq cents mètres d'altitude près des sources du fleuve Congo et du Nil. Si cette institution religieuse apparaît comme coupée du monde, elle n'échappe pas à la politique du quota ethnique mise en place après l'indépendance, à savoir qu'au maximum dix pour cent des élèves peuvent être tutsies. Toutefois, et c'est là l'un des mérites de ce roman, l'intrigue ne va pas surexploiter cette vision binaire de la société rwandaise au risque de renforcer la prévalence de l'imaginaire dont l'auteur cherche justement à dénoncer l'emprise perverse. Grâce à une riche palette de personnages, le récit met au contraire en avant une série de tensions entre étudiantes hutues de différentes régions et origines familiales tout comme des liens d'amitié entre élèves tutsies et hutues. La mise en valeur des personnages refusant...

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