Abstract

Mémoires de porc-épic, d'Alain Mabanckou, roman publié au Seuil en 2006, dans la foulée du succès que connut Verre cassé, raconte les agissements meurtriers d'un animal au service d'un homme rancunier dont il est le "double" maléfique. A sa sortie, le roman fut unanimement salué comme un hommage rendu à la grande tradition du conte africain—inaugurant un bref retour aux sources de la part d'un auteur plus aisément associé à la "migritude" d'aujourd'hui qu'à l'"oraliture" d'antan. Le récit nous est pourtant donné pour de l'écrit (c'est le sens du mot "mémoires"); et même pour de l'imprimé, puisqu'il est suivi d'une lettre adressée à l'éditeur dans laquelle on apprend que l'auteur de ce manuscrit découvert posthumément ne serait autre que Verre cassé lui-même. La "parole" du porcépic nous arriverait donc au travers d'un triple relais, Mabanckou se cachant derrière l'auteur fictif de son précédent roman, lui-même décédé et représenté par un tiers. Pourquoi ces écrans, ces filtres narratifs, et ce détour par une parole animalière? Que se joue-t-il sous ces dédoublements successifs, si ce n'est peut-être une référence indirecte à un autre que soi comme source de l'écriture—ce que Mabanckou appelle un "autre lui-même": on songe ici aux rapports mimétiques que son œuvre entretient avec Temps de chien, roman de Patrice Nganang (2001)—tout se passant comme si l'écriture ne pouvait se produire que dans des conditions de rivalité.

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