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Reviewed by:
  • Éthique et esthétique du récit de voyage à la fin du Moyen Âge by Nicole Chareyron
  • Fabienne Pomel
Éthique et esthétique du récit de voyage à la fin du Moyen Âge. Par Nicole Chareyron. Ouvrage édité par Jean Meyers et Michel Tarayre, avec la collaboration de Liliane Dulac et Pierre André Sigal. (Essais sur le Moyen Âge, 57). Paris: Honoré Champion, 2013. 539 pp.

Nicole Chareyron a choisi d’étudier ici non la représentation de l’altérité mais l’écriture du moi comme ‘fable à trois personnages: l’acteur, l’auteur, le lecteur’ (p. 173). L’étude porte sur les enjeux de la construction identitaire au miroir de l’altérité, et sur les points de vue et mises en scène de deux figures plus ou moins brouillées: l’acteur-voyageur et l’instance narratrice. Le récit viatique est appréhendé comme produit d’une expérience et d’une mémoire (individuelle, esthétique, et culturelle), le narrateur étant ‘l’historien du voyageur’ (p. 417), ‘l’agent focalisateur d’expériences et de sensations’ (p. 26) et l’opérateur d’une traduction verbale et rhétorique du monde. Incluant un corpus de preès de deux cents textes (douzième–seizième siècles) en diverses langues (latin, francais, italien, espagnol, portugais, allemand, anglais…), l’analyse est panoramique, générique, et typologique, quelquefois redondante mais constamment soucieuse de la diversité des montages des genres, voix et textes, tout en fournissant des analyses précises et d’abondantes citations de textes souvent peu connus. Les contaminations, échanges et hybridations avec la chronique, la description géographique ou la fiction sont soulignées, de même que la diversité des intentionnalités et le dosage variable entre encyclopédisme et (auto)biographie. Est ainsi brossé un large échantillon de portraits: missionnaires (Jean de Plan Carpin, Guillaume de Rubrouck, Riccold de Monte Croce, Odoric de Pordenone), pèlerins (Félix Fabri, Guillaume de Boldensele, Numpar de Caumont, Sancto Brasca, anonymes de Rennes ou de Paris), découvreurs et descripteurs de terres (Bertrandon [End Page 94] de la Broquière, Gilles le Bouvier), humanistes (Jérôme Münzer, Iosafa Bürbaro), pionniers et aventuriers (Alcise Ca’Da Mosto, Ludovico di Varthema), serviteurs des princes ou de patries (Ruy Gonzales de Clavijo, Ambrosio Contarini, Christophe Colomb)… Chareyron note une ‘stylisation romanesque du personnage du voyageur’ (p. 154) (Johann Schiltberger, Piero Quirino ou Pero Tafur ou Léon de Rozmital): le récit devient théâtre des malheurs ou exploits du héros viatique. L’implication affective et la présence du narrateur, comme l’intégration du destinataire, sont variables. Des informateurs suppléants peuvent servir l’effacement ou le masquage du narrateur, ou encore l’authentification du dire et le pittoresque. Des personnalités s’affirment dans l’ordre du sensoriel, et l’articulation de la vue et de la parole implique un effort de médiation et traduction pour relier le familier et l’étrange par comparaison, négation, xénisme, néologie, ou contournement lexical. Dans l’organisation thématique ou chronologique de l’espace et des ‘temps croisés’ (p. 327) se cristallise la mémoire personnelle et collective, selon des échanges entre expériences et lectures, jusqu’aux récits fictifs (Pétrarque, Ogier d’Anglure, Jean de Mandeville). Il est des cas intéressants d’intégration (pragmatique, ludique, esthétique) à l’autre monde, ou encore d’autoreprésentation du voyageur dans le regard de l’autre, mais la distance n’est jamais abolie. Dans la diversité de ses formes et destinations, le récit viatique se fait mise en scène et poètique du soi. Les éditeurs du travail d’Habilitation à diriger des recherches, présenté par Nicole Chareyron en 2006, rendent ici hommage au travail de leur collègue décédée, en diffusant généreusement son riche travail.

Fabienne Pomel
Université Rennes 2
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