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  • Jean Starobinski, la relation critique
  • Jacques Neefs (bio)

L’œuvre de Jean Starobinski est une œuvre critique, intégralement. Pas de « fiction » dans celle-ci, mais une extrême attention à la vérité complexe que les textes et les œuvres apportent avec eux, vérité qu’il faut déceler scrupuleusement, qu’il faut moins dévoiler qu’accompagner, qu’il faut faire être en soi et dans le texte de commentaire qui en naît. Le texte de commentaire devra tirer sa portée, sa ferveur, et sa parfaite intelligibilité, de la nature même et de l’intensité de cette relation critique. Aussi, cette œuvre est elle hautement « écrite », c’est-à-dire qu’elle se déploie par un bonheur de l’écriture, dans le mouvement des phrases qui font mouvement de pensée, d’interrogation, d’accueil. La lecture des textes, ou des tableaux, ou de la musique, est d’abord accueil de l’œuvre, ou des œuvres, car toujours celles-ci se font écho, chez un écrivain singulier, mais aussi et peutêtre surtout entre les écrivains ; ou encore, c’est l’accueil de l’époque où se sont jouées tant de choses à la fois (je pense aux grands livres qui sont l’exploration de ce qu’une époque peut porter en avant d’elle-même, de la complexité qui fait un « moment », au sens quasi physique, de l’histoire : Les Emblèmes de la Raison et L’Invention de la liberté). Les œuvres de Jean Starobinski sont toujours comme aimantées par un attrait qui importe au plus profond, et la relation critique est forte de cet attrait. Cette relation est hautement scrupuleuse – dans l’exactitude, dans la précision des citations, dans l’écoute donnée à l’objet investi par l’écriture critique, dans la manière de développer ce qui se joue de vie dans cet objet même, car c’est ce qui vient de cet objet qui importe, c’est ce qui fait sa vie même, comme œuvre, ou comme ensemble d’œuvres, que l’œuvre critique doit recevoir. Dans le texte qui accompagnait la grande exposition que Jean Starobinski [End Page 787] avait été invité à composer au Musée du Louvre, en 1994, et qu’il a intitulée « Largesse », celui-ci souligne combien les figures du « don » – l’exposition tire son titre, indique la quatrième de couverture, « de la main qui lance fastueusement les pièces de monnaie, les objets précieux, les friandises, dont le peuple se disputera la possession dans une mêlée brutale » – renvoient au don de l’œuvre elle même (l’on pense aussitôt au « don du poème », que Mallarmé allégorise), c’est à dire à ce don qui permet le poème et qu’est, en même temps, le poème : « La différence, certes, est considérable entre la prophétie – profération d’un texte antérieur “ingurgité” – et la production de l’œuvre originale, qui résulte, elle, d’un “don de la nature”, d’une faculté “possédée” par le sujet humain parce qu’il “appartient” lui-même à l’ordre naturel. » Jean Starobinski se réfère alors à Kant : « Le génie est la disposition innée de l’esprit (ingenium) par laquelle la nature donne ses règles à l’art1. » Le don passe, de la possibilité donnée de faire œuvre, à ce que donne l’œuvre. Mais ce don ne passe ainsi, aussi, comme mouvement vital, et de fabrication comme naturelle, que par ce que la relation critique – telle que la conçoit Starobinski – relaie, et par ce qu’elle expose en recevant.

« Le Poème. D’où venu ? » C’est le titre de l’un des « Envois » de Largesse2, en écho de Mallarmé, que le texte cite : « Le don se produit, chez l’écrivain, d’amonceler la clarté radieuse avec des mots qu’il profère comme ceux de Vérité et de Beauté3 ». La relation critique tire sa légitimité (« radieuse » ?) à s’attacher à cette origine du « don » esthétique, à l’accueillir dans sa propre écriture.

Dans Le Poème d’invitation, un texte...

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