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  • D’ailleurs et de nulle part. Mendiants, vagabonds, clochards, SDF en France depuis le Moyen Âge by André Gueslin
  • Axelle Brodiez-Dolino
André Gueslin. - D’ailleurs et de nulle part. Mendiants, vagabonds, clochards, SDF en France depuis le Moyen Âge. Paris, Fayard, 2013, 536 pages.

Après Gens pauvres, pauvres gens dans la France du XIXe siècle (1998) et Les gens de rien. Une histoire de la grande pauvreté dans la France du XXe siècle (2004), André Gueslin fait paraître une nouvelle somme sur la (très) grande pauvreté en se consacrant cette fois aux « mendiants vagabonds, clochards, SDF » du Moyen Âge à nos jours. Suivant une démarche revendiquée d’ethnohistoire et d’histoire des représentations, il s’attache à comprendre qui furent les vagabonds, comment ils ont été perçus par l’opinion et les arts, traités par les œuvres et les pouvoirs publics ; à rendre la parole à ces « sans-voix » – a fortiori sans-écriture – ; à comprendre « ce qui fait tomber sur la route » et comment on y vit ; à saisir comment le regard social a évolué sur le temps long, tout en oscillant de façon récurrente « entre image doloriste et perception lumineuse » (p. 7).

L’ouvrage est en fait constitué de cinq grandes parties chronologiques : le Moyen Âge (chapitre 1), les Temps modernes (chapitres 2 et 3), le XIXe siècle (chapitres 4 à 8), [End Page 169] de la Première Guerre mondiale aux Trente glorieuses (chapitres 9 et 10), enfin la période la plus contemporaine (chapitres 11 à 13). Ces inégalités chronologiques reflètent le mode d’écriture de l’ouvrage : de synthèse pour le Moyen Âge, l’époque moderne et les années post-1970 ; de recherche pour les années 1800 à 1970, période de spécialisation de l’auteur.

Dans les trois premiers chapitres, André Gueslin s’appuie sur les grands historiens de la pauvreté médiévale et moderne. Il retrace le basculement « de la sanctification à la diabolisation » : d’abord perçu comme intercesseur avec Dieu, le pauvre errant devient peu à peu, avec la multiplication des crises, des guerres et des épidémies, un être stigmatisé, redouté et rejeté. Dès les années 1350, les villes européennes mettent en place des politiques répressives que les États reprennent ensuite à leur compte. L’enfermement gagne l’Europe. L’auteur insiste sur la corrélation entre situation démographique et économique, et vagabondage, alors que le menu peuple, rural comme urbain, est quasi constamment à la lisière de l’indigence : « en quelque sorte, l’errance est un sismographe de la conjoncture » (p. 27). Il souligne les frontières floues du vagabondage : certains ont encore un domicile mais sont de « pauvres travailleurs en route » (p. 52), conduits à la migration pour subsister. Surtout, cette période scelle la distinction entre mendiants invalides et valides, « bons » et « mauvais » pauvres. Ces derniers sont la cible principale de l’enfermement (création des hôpitaux généraux puis des dépôts de mendicité), de la mise au travail et des sanctions les plus exemplaires, qu’elles soient stigmatisantes (marques au fer rouge) ou répondent aux besoins de la monarchie (déportation aux colonies, galères).

Au XIXe siècle, avec la persistance des crises (frumentaires, puis industrielles), « le départ sur les routes reste une pratique sociale très importante » (p. 103). « Le mendiant idéal-type du XIXe siècle est finalement un homme seul, voire célibataire » (p. 109), d’origine rurale ; en l’absence de protection sociale, les personnes « âgées » et infirmes restent particulièrement exposées. Il est toutefois vraisemblable que les vagabonds connaissent au fil du siècle un rajeunissement et une baisse du taux d’infirmité, avec l’industrialisation et l’accélération des migrations de travail. La vie errante est une vie de souffrances : l’état de manque permanent (de nourriture, de vêtements, de protections contre les intempéries…), de saleté et de maladie entraîne des déséquilibres psychiques, l’importance de l’éthylisme, etc. Le vagabond reste en outre stigmatisé et réprimé : il est considéré depuis...

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