In lieu of an abstract, here is a brief excerpt of the content:

Reviewed by:
  • Bâtisseurs de banlieue à Madrid : le quartier de la Prosperidad (1860-1936) by Charlotte Vorms
  • Laurent Coudroy de Lille
Charlotte Vorms. - Bâtisseurs de banlieue à Madrid : le quartier de la Prosperidad (1860-1936). Paris, Créaphis, 2013, 368 pages.

Cet ouvrage, issu d’une thèse d’histoire, retrace l’évolution d’un quartier de Madrid, La Prosperidad, de sa naissance jusqu’à la guerre civile espagnole. Le récit est de facture classique : de façon strictement chronologique, Charlotte Vorms relate la trajectoire du quartier, ses habitants – les « bâtisseurs de banlieue » –, ses maisons (initialement basses, de type rural), ses activités (l’arrivée des usines dans une ville peu industrielle)… De Próspero Soynard, qui baptise le lieu, aux socialistes de la période républicaine, trois périodes se dégagent : la première est celle de la création du quartier (le « temps des pionniers », de 1860 aux années 1880), puis celle des « règles informelles », pendant laquelle se négocie l’inclusion de ce faubourg dans une agglomération en croissance rapide, enfin celle des « luttes politiques » (des années 1920 à 1936), qui conjugue l’entrée dans la modernité du XXe siècle et une incompréhension du socialisme madrilène pour les modes de régulation et d’action collective dérivés du siècle précédent. Très précis pour les premières décennies, le tableau se fait plus synthétique au fil du temps, car les évolutions concernent des effectifs plus importants, mais aussi parce que les sujets traités ont été élaborés dans la première partie de l’ouvrage, et fournissent les cadres d’analyse de la suite : construction des immeubles et urbanisation, structures socio-démographiques, sociabilités de quartier à travers l’invention de fêtes, les inaugurations ou encore les pétitions et revendications collectives.

Un thème domine l’ensemble de façon longitudinale : celui du caractère « informel » de ce quartier populaire et de son devenir. Charlotte Vorms insiste sur le caractère paradoxal de sa naissance, effet externe d’un plan d’extension très vaste adopté dans la capitale espagnole en 1860. La Prosperidad, contrecoup d’une ambition régulatrice excessive ? C’est sur ce point que la démarche adoptée est la plus fructueuse : elle permet de saisir comment la dialectique entre urbanisme spontané (bientôt appelé extrarradio) et planifié (l’extension, ou ensanche) est constitutive de la métropole contemporaine. Il y a là un apport majeur à l’historiographie urbaine espagnole : en soulignant l’immédiateté du développement des faubourgs populaires en dehors du périmètre planifié, Charlotte Vorms éclaire un phénomène surprenant, à savoir le décalage entre le retard socio-technique espagnol au XIXe siècle et un mouvement urbanistique très « moderne », bien connu à travers les célèbres projets de l’ingénieur catalan Ildefonso Cerdá à Barcelone, et représenté à Madrid par le [End Page 150] plan de Carlos María de Castro. Le choix d’une enquête monographique relevant sans concession de la micro-histoire s’explique aussi par ces prémisses.

L’informalité urbaine se lit donc à différentes échelles. Saisir l’urbain par de « petits objets » (p. 15) : tel est le principal défi méthodologique de cette recherche très cohérente et forte, « leçon d’historiographie urbaine », selon la préface de l’historien Gérard Chastagnaret, directeur de la thèse (p. 8). Le lecteur y trouvera de remarquables recoupements de données, rarement poussés dans la recherche historique à ce niveau de détail : sources de recensement analysées de façon longitudinale, permis de construire, données topographiques, délibérations et actes municipaux et notariaux, sources cadastrales et fiscales… Mais aussi une écriture colorée et suggestive, faite d’histoires de propriétés foncières et de maisons, de personnes et de familles, de métiers et de fortunes, au plus près des trajectoires individuelles. La construction de la première église, finalement catholique, ou l’analyse des ambiguïtés du clientélisme politique dans le monde faubourien comptent...

pdf

Share