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Thèmes, thématologie ou la mort de la littérature Michael Issacharoff L A THÉMATOLOGIE tue la littérature. Réduire un texte à un sottisier thématique, c’est l’apprivoiser en supprimant sa dif­ férence. C’est aussi le trivialiser afin de le transformer en matière première pour de futures anthologies et histoires littéraires. La notion de thème, relevant d’une perspective souvent impressionniste, est confuse: elle a tendance à osciller entre deux niveaux bien distincts d’un texte, à savoir le référentiel et le conceptuel. Toute lecture passe par deux étapes—le repérage référentiel, suivi d’une conceptualisation des éléments narrés ou représentés. Le repérage implique l’identification des référents réels et imaginaires paraissant dans un texte donné.1Ainsi, nous situons les noms propres (de personnes, de lieux) en identifiant les référents concernés, s’ils existent dans le monde (Paris, Napoléon, etc.) et dans le cas de noms imaginaires, dans le texte seulement (à condition toutefois qu’il s’agisse de référents stables). La seconde étape, interprétative, est celle de l’attribution du sens. Elle implique notamment la conceptualisation des noms réels ou imaginaires et d’autres éléments: tout réfèrent dans un texte littéraire a tendance à se conceptualiser. Ainsi, l’emploi d’un nom célèbre (Paris, New York, Ein­ stein) ne constitue pas tout bonnement un “ effet de réel” : il s’agit de signes dont les multiples connotations sont issues d’une réitération extraordinaire. Etant donné ces considérations, dans quelle mesure peut-on parler de “la mort” en littérature (par opposition, s’entend, à la mort dans telle œuvre particulière)? Il est évident que le sens, la portée symbolique, allégorique, etc., de “ la mort” sont nécessairement subordonnés au texte individuel. A cela est-il besoin d’ajouter que si la mort est un élément récurrent à titre de dénouement dans le théâtre tragique, il s’agit d’une fonction logique qu’il ne faut pas confondre avec un statut sémantique prétendument universel, ce qui serait en fait absurde pour ne pas dire inconcevable dans le domaine littéraire. Il va de soi qu’une distinction s’impose entre “la mort” narrée dans un récit et représentée sur scène; entre la mort-occurrence dans un texte, et la mort mise en valeur. Il s’agira pour les besoins de la présente enquête de “ la mort” au théâtre et mise en valeur. Considérons un texte Vol. XXXV, No. 4 95 L ’E sprit C réateur dans lequel “la mort” occupe une place centrale: c’est l’anecdote sur Bobby Watson dans La Cantatrice chauve.2 Microcosme de La Cantatrice, ce récit dialogué met en valeur “la mort” étant donné son incipit (“ Tiens, c’est écrit que Bobby Watson est mort” ), et l’insistance, à plusieurs reprises, sur le décès du “ même” per­ sonnage. Sur les trois pages de l’anecdote dans l’édition Gallimard, on relève huit fois le lexème mort, une fois décès, sans parler de tout un réseau associatif comprenant, dans leur ordre de parution dans le texte, les termes suivants: enterrement (deux fois), cadavre (deux fois), condoléances, veuve, deuil, se remarier (deux fois). Compte tenu de ces manifestations textuelles réitérées du champ lexical “ mort” , il semble légitime de parler d’un thème. En revanche, l’anecdote en tant que telle fait problème sur au moins deux plans fonda­ mentaux: référentiel et conceptuel (ou sémantique). Le nom propre Bobby Watson, malgré sa réitération (qui est le principe même de la nomination), n’est pas stable étant donné que 1. le référent, étant multiple, n ’est pas identifiable; 2. le référent n’est pas ancré dans le temps et dans l’espace; 3. les attributs, contradictoires, ne permettent pas d’identifier le référent; 4. les locuteurs (Smith...

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