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Jean Genet: La position du Franc-tireur Jean-Michel Rabaté M ON TITRE, écho lointain d’un roman policier de Patrick Man­ chette (La Position du tireur couché) provient des entretiens de Genet avec Rüdiger Wischenbart et Layla Barrada à Vienne en 1983. Genet réitère son soutien aux Palestiniens, ajoute qu’il se sent d’autant plus libre qu’il peut les aider; et pourtant confirme qu’il reste un point sur lequel il ne peut manquer de les trahir: “ Ecoutez: le jour où les Palestiniens seront institutionnalisés, je ne serai plus de leur côté. Le jour où les Palestiniens deviendront une nation comme une autre nation, je ne serai plus là. R.'W.—L ’intellectuel comme franc-tireur? G.—Exactement.” (L ’Ennemi déclaré 282)1 Le terme de “ franc-tireur” qui est ici comme soufflé à Genet, lequel le reprend à son compte et l’accepte volontiers, définirait assez bien la “ position”—terme sartrien, sur lequel il faudrait plus longuement s’interroger, et qui a l’avantage de passer du sens politique au sens érotique—de quelqu’un qui s’est voulu inclassable. Genet prétend en effet agir au nom d’affects et de pulsions plus que d’un discours politique constitué, et il dénonce avec une rigueur admirable la tentation palestini­ enne d’une restauration de l’ordre (ce thème est également développé dans Un captif amoureux 502). Notons que le mot de “ franc-tireur” a pris cours pendant la Révolu­ tion française pour désigner les soldats de certains “ corps légers” engagés dans les guerres révolutionnaires en Europe, parfois levés en masse pour faire partie des “ corps-francs” chargés de résister à l’inva­ sion ennemie. Et comme le mot de “ franc” signifie tout à la fois “ libre” , “qui dit ce qu’il pense” et “ exempt” de certaines taxes, “jouissant d’une sorte d’immunité” face aux lois courantes, on voit en quoi Genet n’a pu manquer de se reconnaître en ce terme—expression qui de plus soulignerait son ambivalence affective face à une langue et surtout à cette “ patrie” plus honnie que respectée. Le “ franc-tireur” se distingue des autres “ corps” par sa liberté d’action, sa rapidité et sa maniabilité: l’on rejoint ici le désir de vélocité 30 Sp r in g 1995 R abaté exprimé si souvent par Genet, qui relate avec un plaisir certain l’étonnement des responsables des Black Panthers venus le trouver à Paris pour lui demander son aide lorsqu’il s’est dit prêt à partir aux U.S.A. dès le lendemain. “ ‘Si vite?’ J’ai vu que les Panthers étaient décontenancés. Ils ont l’habitude d’aller très vite et j’allais plus vite qu’eux” (ED 142). La vitesse est un premier avantage stratégique, alliée à la légèreté: pas de bagages, pas d’impedimenta, le franc-tireur jouit d’une curieuse dromologie qui le fait courir aux quatre coins du monde. Libre comme l’air, il suffit qu’il se déplace; il n’a pas à “ tirer” , il regarde, enregistre, ne manifestant pas de surprise apparente devant les spectacles les plus affligeants—ainsi ces fameuses “quatre heures” , mais quelles heures, passées à Chatila au lendemain du massacre, chef-d’œuvre de la littéra­ ture engagée. Mais inversement, cette même liberté permet un engagment total, ce qui l’amène parfois à rester quelques mois ou années alors qu’il avait escompté ne séjourner qu’une semaine. En ce sens, Genet a bien toujours été un franc-tireur, et l’on ne peut séparer un premier Genet, suspect de faiblesses coupables pour la Milice et Hitler, d’un second Genet, révolutionnaire planétaire, compagnon de lutte de Sartre et de Foucault dans leur campagne contre toutes les oppressions, pas plus qu’on ne peut opposer le Genet des romans écrits de 1945 à 1948, du Genet des tracts politiques défendant en bloc, la bande à Baader, les Palestiniens, les Indiens Guaranis, les frères de Soledad, et les Black Panthers en général. Le but avoué de Notre...

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