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Quelques Remarques sur Les Guérillères Monique Wittig U N LIVRE DEVRAIT POUVOIR se passer de tout commentaire de la part de celui qui l’a écrit puisque les éléments pour le lire sont incorporés dans le texte. Cependant j ’aimerais donner quelques précisions sur Les Guérillères en marge des interprétations qui en ont été faites. Dans le mouvement de retournement sur un texte auquel je ne travaillerai plus je me situe dans ce que j ’appelle le point de vue du critique, le point de vue d’après. Mais ce point de vue critique n’est pas tout à fait le même que celui du critique qui n’a pas écrit le livre. Car il partage après coup le point de vue d’avant, quand il n’y avait que la page blanche. Et c’est donc un double mouvement critique que celui de l’écrivain: quand il écrit il est dans l’avant travaillant sa matière, par moments coupé apparemment de tout, faisant face à de l’inconnu, mais de temps à autre au cours de son travail émergeant pour porter sur ce qu’il est en train de faire un regard critique, un regard d’après. C’est une sorte de va-et-vient dont il est difficile de garder les traces exactes, sauf pour ceux qui gardent des carnets de travail. Ensuite après que le livre a atteint une limite de travail, quand il est publié, qu’on le commente, en somme l’écrivain ne dispose plus tout à fait de son texte, mais il peut le regarder avec ce double mouvement critique, cette fois à rebours. Si on me demandait comment décrire Les Guérillères, je dirais qu’il s’agit d’un poème épique, que c’est un collage, qu’on ne peut pas lui attribuer de genre, en dehors du mouvement épique donné par le rythme, l’action, et les caractères. Et à ce propos je voudrais rappeler que Brecht, en guerre contre la dramaturgie classique, “ aristotélicienne” , comme il disait, a introduit au théâtre une dimension épique, “ révolutionnaire” , que le théâtre n’avait jamais eue et qui semble contraire à tout l’art dramatique, mais qui a cet avantage de présenter au spectateur une forme ouverte, non achevée sur laquelle il peut immédiatement exercer sa critique, agir. Je voudrais aussi rappeler la réflexion du cinéaste JeanMarie Straub sur ce qu’il décrit comme art “ lacunaire” avec une homologie tirée du Littré, un terme de minéralogie: “ Corps lacunaire, corps composé de cristaux agglomérés qui laissent entre eux des intervalles” . Il emploie ce terme à propos de l’écriture cinématographique. Appliquée à 116 W in te r 1994 W it t IG l’écriture littéraire cette désignation indique pour moi le fait de créer des intervalles, de trouer la phrase au niveau grammatical, de déstabiliser l’ordre convenu du discours. Du côté littéraire, l’intertextualité comme on dit couramment à présent, après Kristeva, c’est pour mon travail l’intertexte créé par les écrivains du Nouveau Roman. A les nommer ensemble il ne faut pas oublier que leurs procédés sont très différents et qu’il y a autant d’arts poétiques que d’écrivains. Ce qui importe c’est que chacun d’eux s’est essayé à créer des formes romanesques nouvelles à une époque où, en France, le roman semblait destiné à mourir. A tel point que quand Sartre a écrit une préface pour Le Portrait d ’un inconnu, il a appelé ce roman un anti-roman, alors que Sarraute travaillait à renouveler les formes du roman. Sarraute, Beckett, Butor, Pinget, Ollier, Robbe-Grillet, Simon ont changé la forme du roman français. Il s’agit de la chronologie du roman, des caractères, de l’intrigue, du sujet, des descriptions et des formes du récit. Et ce sont ces écrivains qui m’ont appris mon métier. Un mouvement, une dynamique épiques, une écriture lacunaire, inscrits dans leur contexte historique, c’est ce qui apparaît d’abord...

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