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André Malraux, écrivain d’art indépendant* Christiane M oatti Le miracle du génie, garantie peut-être de pérennité, est de laisser deviner, au delà de la forme, autre chose. Micheline Tison-Braun, “ L’artiste, homme exemplaire” 1 RECENSER LES ÉCRIVAINS FRANÇAIS qui, dans notre siècle, se sont intéressés à la peinture serait une tâche de longue haleine.2 Leur discours a pris des formes diverses: préfaces de catalogue d’exposition, interviews, articles dispersés ou réunis en volumes, poèmes, notes de carnets ou de journaux intimes, enfin, chez certains—mais là l’approche est d’une autre nature—évocation et commentaires, au cœur d ’un récit de fiction, d ’œuvres plastiques et mise en scène de peintres réels ou fictifs. Mais ce sont des textes généralement brefs ou fragmentés, en apparence secondaires3 par rapport à l’ensemble de l’œuvre de l’écrivain: c’est L ’Œ il éco u te de Claudel face au S o u lier de Satin, H en ri M a tisse ro m a n d’Aragon face à l’Œ u v r e p o é tiq u e , à A u ré lia ou au P a ysa n d e Paris. Les auteurs eux-mêmes n ’ont pas toujours trouvé utile de rassembler ces écrits brefs, souvent peu connus, édités pour la plupart à tirage limité. Ces incursions discrètes des écrivains dans un domaine qui n ’est pas le leur n ’ont guère troublé les spécialistes du discours sur l’art. Celles de M alraux non plus, tant qu’il s’en est tenu aux bornes de ces pratiques. Mais il s’est vu réserver un accueil bien différent—passionné dans la critique comme dans l’adm iration—quand il s’est mis à inventer à la fois une nouvelle forme de livre d ’art et un nouveau type de discours sur l’art, quelque peu dérangeant. Dérangeant d ’abord par son ampleur—sans équivalent chez les autres écrivains. Ces commentaires sur les arts plastiques suffiraient à eux seuls à constituer une œuvre. Neuf forts volumes dans la tradition du livre d ’art, sans parler d’une vingtaine d ’articles, des préfaces de cata- *Je voudrais exprimer ici à Micheline Tison-Braun toute mon admiration pour ses publications dont la subtilité et la rigueur ont souvent guidé mes étudiants dans leurs recherches, ma reconnaissance pour sa fidèle et précieuse collaboration à L a R e v u e des lettres m o d ern es, “ Cahiers M alraux” , enfin mon attachement à la femme indépendante et généreuse. VOL. X X X IV , NO. 3 71 L’Espr it Cr éat eur logues, des dizaines de discours, d ’interviews.4 Ses écrits, d ’ampleur croissante, s’étalent sur plus de cinquante ans—de 1922 avec la préface au catalogue de Y E x p o sitio n D . G alanis (“ La Peinture de Galanis” , écrit à vingt et un ans pour son ami), à l’année de sa m ort, avec L ’In te m p o re l en 1976. M alraux a enfanté dans la douleur5 d ’énormes trilogies, accompagnées de centaines d ’illustrations, qui l’absorbèrent durant des années. Il s’agit là de la grande affaire de sa vie, bien que la notoriété ne lui soit pas venue par elle. Dès 1931, celui qui n ’est pas encore l’auteur de L a C o n d itio n h u m a in e confiait au célèbre critique Edm ond Jaloux: “ Ecrivant en ce moment un essai (une sorte de machin qui voudrait être à l’esthétique, histoire de l’art etc. ce qu’est M. Teste à la philosophie [...]” .6 II est détourné de son projet par d ’autres sollicitations. Mais les débats mis en scène dans les romans de l’entre-deux-guerres—sur la métamorphose des arts liés aux civilisations disparues (L a V oie royale), la relation de l’art et de la mort, la spécificité égocentrique de l’art moderne occidental...

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