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Jules Supervielle en 1994: Lyrisme et burlesque Tatiana Greene Dans la forêt sans heures On abat un grand arbre Un vide vertical Tremble en forme de fût Près du tronc étendu. Cherchez, cherchez, oiseaux, La place de vos nids —Jules Supervielle, Le Forçat Innocent Le burlesque n’est que la forme la plus décon­ certante du lyrisme. —Robert Desnos, Cinéma D ANS SON VOLUME de portraits—dessinés et écrits—Jean de Bosschère voyait en Jules Supervielle “celui qui possède dans une même mesure l’angoisse et la joie” .1Supervielle, poète, prosateur et dramaturge, qui écrivait à Pierre Menanteau “Nous avons un cœur d’agneau tous les deux”,2est un poète lyrique, mais d’un lyrisme auquel se mêlent, dans nombre de ses œuvres, l’humour et la moquerie de soi. Jean Paulhan écrit à Valéry Larbaud en 1935 qu’il craint pour Super­ vielle “une neurasthénie à laquelle il a eu tant de peine à échapper, voici trente ans” . Anxieux, insomniaque, Supervielle a parlé de sa peur de la folie.3 Né à Montévidéo, il avait huit mois lorsque ses parents revinrent au pays pour faire leur “tour de France”, comme on le disait dans les Pyrénées, et moururent tous deux, ayant bu d’une eau empoisonnée (“Ma morte de vingt-neuf ans”— “Le Portrait”). Emmené en Uruguay il y est élevé par son oncle, frère de son père, et par sa tante, sœur de sa mère. Il a neuf ans lorsqu’il entend une amie demander à sa tante qu’il avait jusque-là prise pour sa mère: “Dis-donc, Marie-Anne, c’est le fils de ta sœur, ce petit?” 4 Où se trouve le centre, dans l’œuvre de Supervielle: dans le cœur du poète, dans le souvenir de la pampa, dans l’espace interstellaire? Dans tout cela et, sans égospectisme aucun, Supervielle projette son moi dans l’univers, mais demeure, comme la pointe du compas, au centre. 42 Fa ll 1994 Greene Une des images préférées chez lui est celle de l’escalier (et c’est là le titre d’une de ses dernières œuvres). L’escalier représente un mouvement double (“C’est l’heure où les enfants aux âmes imagées/Montent, pour les descendre, les déconcertants escaliers”).5 Dans L ’Homme de la pampa (1923), roman surréaliste bien que l’auteur n’ait pas appartenu au groupe des Surréalistes, le héros, Guanamiru, fait construire “un escalier . . . dont nul . . . ne savait exactement où il allait, ni s’il y arriverait jamais” (33). Plus de trente ans après le poète se demande où “nous” en sommes: A quel étage sommes-nous Est-il encore des étages Dans l’escalier toujours obscur Confondant l’ancien, le futur Et poursuivant même sous terre Une descente délétère. (L ’Escalier, 1956, 12) Son Colonel Bigua, qui est Le Voleur d’enfants (1926), tente de se noyer, mais, rescapé, il devient, dans la suite de ce roman: Le Survivant (1928). Montée, descente, on pourrait avancer l’opinion que le lyrisme en son ardeur correspond à une montée, et que l’humour, le bouffon, le burlesque, font partie d’un mouvement de descente en l’escalier intérieur du poète. Voyons quelques vers du Supervielle lyrique: Pour avoir mis le pied Sur le cœur de la nuit Je suis un homme pris Dans les rets étoilés. (Gravitations, 1925, 105) Un peuplier sous les étoiles Que peut-il [. . .] Pour gauchir la destinée (Grav., 63) Attendre que la Nuit toujours reconnaissable A sa grande altitude où n’atteint pas le vent Mais le malheur des hommes [. . .] (Les Amis Inconnus, 1934, 139) Tendresse, angoisse, le vertige des espaces s’accompagnent d’un mer­ VOL. XXXIV, NO. 3 43 L ’Esprit C réateur veilleux fragile et original. Supervielle dit aussi l’amour et le tourment de vivre (“Si je croise jamais un des amis lointains/Au mal que je lui fis vais-je le reconnaître?”, Les Amis Inconnus, 10). Et la...

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