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Panoptisme et bureaucratie coloniale dans Un barrage contre le Pacifique Martine Antle Depuis ce matin je suis un peu inquiet à l’idée de parler de Marguerite Duras... La présence de l’œuvre de Marguerite Duras reste très intense . . . et puis voilà qu’au moment d’en parler, j ’ai l’impression que tout m’échappe. —Michel Foucault La bureaucratie n’existe que par ses bureaux cloisonnés et ne fonctionne que par les “ déplacements de but” et les “ dysfonctionnements” correspondants. —Gilles Deleuze D ANS L’OEUVRE DE DURAS tout tourne autour d ’une dispari­ tion, d ’une perte le plus souvent signifiée par une structure tri­ angulaire. En effet, les personnages durassiens, “ dépossédés d’eux-mêmes” 1 voyagent le plus souvent dans leur passé avec une mémoire passionnée pour tenter en vain de retrouver un amour, une scène traumatique originelle signifiée par un cri, ce que Susan Cohen a très bien mis en évidence dans son article intitulé “ La Présence de rien” .2 La recherche sans fin de cette scène originelle chez Duras s’accomplit par le biais de la fermeture du regard ou encore de ce que Duras nomme ellem ême “ le non-regard” . 3 Car, voir pour Duras provoque la schize du regard et de l’œil4et permet la substitution du toucher au regard. Comme le confirme Michel Foucault dans un entretien consacré à Duras, le toucher “ s’inscrit dans une sorte de visibilité possible” et “ une des possi­ bilités du regard est le toucher” .5 Les personnages de Duras ne pouvant “ aimer que par procuration du désir d’un autre, en s’y identifiant” (Druon, 228) se trouvent donc pris dans un réseau complexe de voilement et de dévoilement du regard et du geste, tels les gestes répétés des per­ sonnages dans Les Yeux bleus cheveux noirs qui se cachent (ou se couvrent) le visage de draps ou d’un carré de soie noire: “ Elle s’allonge, elle se recouvre des draps et, son visage, elle le cache avec la soie noire. . . . Il regarde, fait glisser la soie noire, regarde le visage” (75, 78). C’est justement parce que la dynamique du désir chez Duras fonc­ tionne à partir d ’un regard qui implique un dispositif d’aveuglement que son œuvre peut se lire dans l’optique du panoptisme tel que l’a développée Foucault dans Surveiller et punir.6 Le dispositif du panopVol . XXXIV, No. 1 83 L ’E sprit C réateur tisme chez Duras est mis en place à partir du moment où l’objet substitut du désir ne réussit jamais tout à fait à remplacer le modèle d’origine et tombe dans l’oubli. L’oubli masque alors le désir et devient le signe de l’aveuglement. Dans L ’Hom m e atlantique1 l’instance phatique est un opérateur qui oriente le regard du “ vous” et qui, par conséquent, permet la transposition de la parole à l’objet. La caméra dévoile ainsi en masquant le regard du sujet sur lui-même jusqu’à l’oubli: Vous ne regarderez pas la caméra. Sauf, lorsqu’on l’exigera de vous Vous oublierez. Vous oublierez. Que c’est vous, vous l’oublierez. (L ’H om m e Atlantique, 7-8) La transposition de la parole sur un objet est un des effets du panoptisme . Il s’agit ici de la “ technologie politique du corps” opérant à partir de la “ mise en discours” d’un “ outillage” composé de “ procédés dis­ parates” selon Michel Foucault: Cette technologie est diffuse, rarement formulée en discours continus et systématiques; elle se compose souvent de pièces et de morceaux... Elle n’est qu’une instrumentation multi­ forme. . . . Il s’agit en quelque sorte d ’une microphysique du pouvoir que les appareils et les institutions mettent en jeu. (Surveiller, 31) De la même manière, dans Un barrage contre le Pacifique, 8la tech­ nologie politique du corps provoque l’aveuglement de la mère. L’aveuglement de la mère est symptomatique de la reproduction (ou molécularisation...

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