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L’Ecriture (comme) éclatement des frontières Evelyne Accad L ’ancre n ’est pas du voyage Je te le dis. Andrée Chedid1 Q UAND AI-JE COMMENCÉ À ÉCRIRE et faut-il situer un début à l’écriture? Tracer un début et sa fixation dans le temps peut servir à expliquer le développement et le sens que l’écriture prendra dans une vie. C’est comme aller en soi, creuser, creuser, chercher l’endroit caché qui fera éclater les barrières, s’effondrer les murs, ouvrir toutes grandes les fenêtres, débrider l’imaginaire, trouver une liberté illimitée, nager et nager dans une Méditerranée bleue, quelques fois plate et lisse comme une huile brillante, d’autres fois déchaînée avec des vagues roulant en furie, des vents démystifiants, ou courir et courir vers un horizon plein d’espoir et de rêves. Pour Virginia Woolf: Si la vie a une base sur laquelle se tenir debout, si elle est un bol que l’on remplit et remplit —alors mon bol sans aucun doute repose sur ce souvenir. J ’étais étendue à moitié endormie, à moitié éveillée dans mon lit dans la clinique de St. Ives. J ’entendais les vagues se briser, une deux, une, deux, et jeter un jet d’eau sur la plage; et se briser une, deux, une, deux derrière le rideau jaune. . .2 Vers quatre ans déjà—c’est ma mère qui me l’a dit, mais j ’ai aussi des souvenirs, comme des lueurs, éclats de ces moments—voulant com­ muniquer mon exubérance et mon imaginaire d’enfant, je me tenais face à des auditoires d’amis et de famille, et je chantais, mimais et racontais des histoires que j ’inventais au fur à mesure. Peu timide et pleine d’audace à l’époque, qu’a-t-il bien pu se passer entre cette époque et la présente pour me faire reculer, me cacher dans un coin et ne confier qu’à la page blanche ce que j ’exprimais avec tant d’ardeur? Est-ce là que se situe le point de départ de mon écriture? Les psychologues nous disent que c’est l’âge déterminant où chaque acte, chaque réaction marquera le reste d’une vie. Chaque expérience vécue à cet âge influencera les choix et les réactions futurs. Suis-je prise par les mêmes sentiments d’émer­ veillement et d’étonnement à la possibilité de séduction lorsque j ’écris maintenant? Qu’est-ce qui guidait mon imagination à l’époque et qui la fait bouger actuellement? Vol. XXXIII, No. 2 119 L ’E s pr it C r éa te u r Quand ai-je vraiment commencé à écrire—quand me suis-je assise régulièrement, méthodiquement, et consciemment face à des pages blanches avec la volonté de les remplir, le désir de marquer mon temps et mon entourage, et la confiance d’avoir des problèmes pressants et impor­ tants à communiquer? Quand ai-je “ pris pour but l’éternité” dans mon écriture, pour utiliser une expression d’Annie Dillard?3 Adolescente, j’ai perdu la spontanéité, la fraîcheur, la vivacité, et l’enthousiasme que j’avais dans mon enfance. L’école—spécialement et malheureusement le système français et peut-être encore plus dans les ex­ colonies—tue souvent la créativité chez l’enfant, et la société se charge de l’enterrer. Pourtant, je me souviens des heures de composition au lycée français où j ’allais à Beyrouth. C’était mes classes préférées. Le sujet ayant été donné et devant être traité en quelques heures, un sentiment d’excitation, de nervosité, de joie et d’angoisse s’emparait de moi, et je laissais mon stylo voyager sur le papier guidé par le vagabondage de mes pensées, mais avec aussi une certaine discipline et le besoin de com­ muniquer des messages que mes lectures m’avaient donnés. J’étais entraînée vers des régions inconnues que j ’imaginais colorées de mes rêves. C’est là que je retrouvais les moments magiques de mon enfance...

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