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Débris et chuchotements Jean-Jacques Thomas N ON SANS SCRUPULE, aujourd’hui, j ’abandonne toute préten­ tion à l’universalisme, à la célébration consensuelle de nos rites, et je m’aventure avec délice et effroi dans les méandres du subjec­ tivisme narcissique. Suivant en cela une suggestion provocatrice de Ross Chambers,1 dans ces quelques pages qui me sont imparties, je m’autoriserais donc à lire un texte selon des critères qui ne répondent qu’aux exigences d’une norme personnelle auto-imposée: mon code postal: 75007; et plus particulièrement conforme aux impératifs d’adhésion à la zone proche des Invalides: cette triangulation privilégiée formée par le boulevard de la Tour Maubourg, l’avenue de la Motte Piquet et l’avenue de Turenne. Mon quartier: l’École Militaire. J’avais d’abord pensé pouvoir proposer une lecture conforme au code 75016. Mais comme je n’ai vraiment vécu rue Molitor, à Auteuil, que pendant trois années légales, l’effort, après quelques tentatives décevantes, m’est vite apparu du domaine de l’irréalisable. Peu fier de cette découverte, j ’ai immédiatement consulté, à ce sujet, notre expert de Duke, Skip Gates, et il m’a confirmé qu’il fallait au moins quatre années de résidence pour pouvoir se dire du lieu. Pour pouvoir s’estimer appar­ tenir à une communauté, pour saisir l’exclusive de sa culture propre; en un mot pour pouvoir parler en toute légitimité au nom d’un groupe par­ ticulier et s’auto-définir comme lieu d’énonciation authentique. Il va de soi que je n’ai pas tenté, non plus, d’entreprendre une lecture selon les codes 75005, 75006 ou leur sous-modalité 75231, CEDEX 05. Ces zones ont déjà produit une quantité considérable de lectures et je ne vois pas ce que j ’aurais pu ajouter à ce type déjà bien répandu, issu de ce lieu familièrement désigné comme, “ le Quartier” , “ le Village” , “ le Sérail” ou, “ notre territoire” . Ma claustrophobie, de toute façon, ne se serait pas prêté à cet apprêt et l’on sait depuis belle lurette qu’il n’y a plus d’apprêt à Saint-Germain des Près. Comme on peut facilement s’en rendre compte, pour peu que l’on lise les bonnes feuilles critiques récentes, en particulier celles qui transitent par mon institution, Nietzsche et Bataille constituent des balises néces­ saires à toute lecture du type monadique que j ’entreprends ici. C’est si vrai que dans son remarquable ouvrage, Contingency o f Values, Barbara Vol. XXXI, No. 4 59 L ’E spr it C r éa te u r Herrnstein-Smith ne les cite pas moins de soixante-huit fois. Pour faire bref, les pages me sont comptées, j ’ai choisi à titre d’épigraphe une cita­ tion qui les rassemble puisqu’il s’agit d’un extrait de Bataille tiré de son ouvrage Sur Nietzsche, volonté de chance: “Tout semblait résolu. Arrive une vague d’avions, la sirène... Ce n’est sans doute rien, mais de nouveau, tout est en jeu” .2 Ce bref passage constitue une exception dans l’ensemble de l’ouvrage, puisque bien évidemment c’est un écho pragmatique à l’actualité immédiate du temps de l’écriture en chambre. Dans ce texte, écrit en 1944, qui, pour l’ensemble, se présente comme une réflexion philosophico-religieuse désengagée des aléas du moment et toute tournée vers l’immanence, le fracas de la guerre (guerre, je ne l’aime guère), la “ vague d’avions” , et la “ sirène...” sinon séduisent, mais au moins divertissent, et tirent l’oreille historique vers le grand fracas collectif, audel à de la coercition du confinement du soi que facilitent les vitres aveuglée par le bleu du couvre-feu. La faille énonciatrice alerte le horssujet . Comme dirait Barthes: “Et moi, et moi, qu’est-ce queje fais dans tout cela?” 3 Ce qui me retient dans ce surgissement du texte bataillien, qui con­ stitue un plateau, un oppidum discursif névralgique...

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