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Le jeu de la règle Frédérique Chevillot R OGER CAILLOIS devait se faire une bien haute idée de l’entre­ prise littéraire lorsqu’en 1958 il publia Les Jeux et les hommes: nulle part n’est-il question dans son essai de jeu et d’écriture.1Et pourtant, lorsqu’on examine de plus près les six qualités “ purement for­ melles” qui selon lui définissent l’activité ludique, on croirait lire la définition de l’écriture de fiction. Jouant à mon tour, je réécrirai, le temps d’une démonstration, la définition de Caillois et poserai que, tel le jeu, l’écriture de fiction est une activité: Libre: à laquelle [l’écrivain] ne saurait être obligé sans que [l’écriture] perde aussitôt sa nature de divertissement attirant et joyeux. (JH 42) L’écriture naît librement; elle n’est que liberté. L’écrivain ne saurait être condamné à écrire, ou à ne pas le faire, sans qu’en effet son activité “ perde aussitôt sa nature de divertissement” ; terme que je prends ici au sens étymologique de “ détournement” . Ecrire, c’est tourner en fiction ce qui appartient au quotidien, à la contingence. N’étant plus que désir, l’écriture est dans ce qui fait sa genèse, une activité “ attirante” et “joyeuse” . Séparée: circonscrite dans des limites d’espace et de temps précises et fixées à l’avance. (JH 43) Séparée, l’activité de l’écriture l’est du fait même qu’elle n’est que liberté, choix et désir. Sa circonscription dans le temps et l’espace est définie a priori: tout ce qui n’est pas écriture est perçu de l’extérieur en termes de temps et d’espace propres à la contingence. Incertaine: dont le déroulement ne saurait être déterminé ni le résultat acquis préalable­ ment, une certaine latitude dans la nécessité d ’inventer étant obligatoirement laissée à l’initiative de [l’écrivain], (JH 43) On ne doutera pas une seconde de la puissance d’invention que requiert l’écriture, ni du caractère incertain de l’entreprise. Tout se passe comme si l’écriture naissait par surprise. 12 W in t e r 1991 C h ev illo t Improductive: ne créant ni biens, ni richesse, ni élément nouveau d’aucune sorte; et, sauf déplacement de propriété au sein du cercle des [écrivains], aboutissant à une situation identique à celle du début de la partie. (JH 43) Le livre qui résulte de l’activité de l’écriture, peut-il être considéré comme son produit? Certes, c’est un objet tangible, mais l’écriture elle-même ne l’est pas; elle reste un processus en continuelle transformation. Si le livre était le produit de l’écriture, celle-ci aurait la capacité de prendre fin une fois le produit achevé; or, l’on sait que... Il faut même voir un parallèle certain entre l’idée de “ déplacement de propriété” de Caillois et le con­ cept derridien de différance. Ecrire n’est autre qu’un processus de déplacement de sens et c’est en cela que l’activité de l’écriture est impro­ ductive: elle ne crée rien car elle se trouve en perpétuelle ré-écriture et ré-création. Réglée: soumise à des conventions qui suspendent les lois ordinaires et qui instaurent momentanément une législation nouvelle, qui seule compte. (JH 43) Fictive: accompagnée d ’une conscience spécifique de réalité seconde ou de franche irréalité par rapport à la vie courante. (JH 43) Ces deux dernières caractéristiques sont les plus intéressantes car Caillois a précisé précédemment que “ les jeux ne sont pas réglés et fictifs. Ils sont plutôt réglés ou fictifs” (JH 41). Et, lorsque le jeu ne suit pas de règles, c’est “ la fiction, le sentiment du comme si [qui la] remplace et remplit exactement la même fonction” (JH 40). Or, il semblerait que ce qui définit justement l’écriture...

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