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L’au-delà du réel: A propos de “La mauvaise direction” d’Alain Robbe-Grillet Gérard Bûcher Je ne décris pas, je construis. —A. Robbe-Grillet ^ £ "W " A MAUVAISE DIRECTION” est le court récit emblémaI tique (la fable) d’une confrontation limite du réel avec son rêve fondateur. Un triple intitulé encadre ce texte: celui du recueil où il figure—Instantanés (Ed. de Minuit, 1962)—celui du trip­ tyque des poèmes-nouvelles dont il est le troisième et dernier volet— “ Visions réfléchies” —celui enfin qui lui est propre—“ La mauvaise direction” . Cet énigmatique étoilement de l’intitulé doit être confronté à la teneur ou au “vouloir dire” du texte dans son ensemble, c’est-à-dire à ce qui en lui se donne et se refuse, satisfait et épuise le vouloir et le dire. L’entrée en matière est abrupte, purement factuelle: dès son ouver­ ture le texte coïncide avec le dessillement d’un regard. En effet, ce qui est en vue n’est référé à aucun sujet, le texte se soustrait à toute position d’énonciation, aucun dialogue n’est proposé. Tout est tenu à distance sous un regard anonyme (et pourtant ces notations écrites ne sont-elles pas dites comme en un monologue intérieur?). Le visible semble seule­ ment exploré zone par zone sans que n’intervienne, de prime abord, aucune nuance affective ou de jugement. Simple répertoire d’existences accumulées, le texte aligne des phrases constatives (le verbe être ou ses équivalents scandent le texte de manière obsédante): Les eaux de pluie se sont accumulées au creux d’une dépression sans profondeur, for­ mant au milieu des arbres une vaste mare, grossièrement circulaire, d’une dizaine de mètres environ de diamètre. Tout autour, le sol est noir, sans la moindre trace de végétation entre les troncs hauts et droits. Il n’y a, dans cette partie de la forêt, ni taillis ni broussailles. La terre est seulement couverte d’un feutrage uni, fait de brindilles et de feuilles réduites à leurs nervures, d’où émergent à peine par endroits quelques plaques de mousse, à demi décom­ posée. En haut des fûts, les branches nues se découpent avec netteté sur le ciel. (25-26) De par l’ellipse d’un sujet, nous sommes justement attentifs aux marques qui en trahissent le défaut: car l’œil est un quasi actant qui com­ mande un parcours implicite. Privé de tout repère corporel ou perceptuel 76 Su m m e r 1991 B u c h e r autre que celui de la vue, nous nous raccrochons aux mouvements du regard comme au déplacement de la caméra dans une séquence cinémato­ graphique. La première phrase délimite un centre d’intérêt à partir de quoi s’ordonne l’espace, puis la vision se porte alentour: “ Tout au tour...” , avant d’enregistrer ce qui est “ En haut des fûts...” , etc. Peu à peu l’illusion d’objectivité s’estompe puisque le regard s’avère doté non seulement d’une capacité de sélection mais d’une mémoire, d’une faculté implicite d’évocation et de comparaison: “ ... une vaste mare ... d’une di­ zaine de mètres environ de diamètre” ; “ Il n’y a dans cette partie de la forêt, ni taillis ni broussailles” , etc. L’eau est transparente, bien que de couleur brunâtre. De menus débris tombés des arbres— branchettes, graines vidées, lambeaux d ’écorce—se sont rassemblés au fond de la cuvette et y macèrent depuis le début de l’hiver. Mais aucun de ces fragments ne flotte, ni ne vient crever la surface, qui est uniformément libre et polie. Il n’y a pas le plus léger souffle de vent pour en troubler l’immobilité. (26) Un savoir latent y pointe en effet: “ De menus débris ... y macèrent depuis le début de l’hiver” ; “ Il n’y a pas le plus léger souffle de vent...” , etc. Cette...

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