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Vérité et indicible dans la poésie française contemporaine Michael Bishop Cache et montre au coeur qui s’étonne La vérité comme une étoile. —Verlaine, Sagesse tout ce qui n ’a pas de forme et pas de nom. —Guillevic, Exécutoire S I LA VÉRITÉ est sans doute une, comme l’affirme souvent Baude­ laire (cf. OC, 875)1dans son insistance sur des notions d’unité, de totalité, de correspondance, d’aspiration idéalisante, si elle semble vouloir tout orienter, toute émotion, toute pensée, toute parole, vers “ un certain point de l’esprit” , comme dit Breton dans le Second Manifeste du surréalisme, “ d’où la vie et la mort, le réel et l’imaginaire, le passé et le futur, le communicable et l’incommunicable, le haut et le bas cessent d’être perçus contradictoirement” (MS, 76-77)—si, en un mot, la vérité parvient à s’installer dans notre conscience individuelle et collective comme un phénomène improbablement univoque, transcendant, con­ densable, Baudelaire n’hésite jamais, c’est même le critère le plus essen­ tiel de sa poétique, à en réaffirmer le caractère “ multiple” , “ complexe” , paradoxalement mais manifestement multivoque (cf. OC, 706-07). Et, dans les mêmes essais sur l’art et la littérature de ses contemporain/e/s, il revient à plusieurs reprises sur le simple fait, fait qui complique tout cependant, que la vérité se fonde dans ce domaine de l’intuition qui flotte entre savoir et non-savoir—“ lire un livre pour savoir dénote une certaine simplicité” , disait Breton—et que ce domaine de la vérité intuitive, site foisonnant de relations virtuelles entre artiste et lecteurs/lectrices, spec­ tateurs/spectatrices, est aussi celui du sentimental, de l’éthique, du spirituel, du beau. Dans l’optique baudelairienne tout ce qui est dit, créé fait, articulé, peut être considéré comme étant une vérité, partielle et “ partiale” —la critique doit opter pour l’authenticité de sa propre inten­ sité viscérale et spirituelle—mais aussi cohérente, et complète (cf. OC, 648): vérité s’insérant dans le sens de l’être, même “ mal vu mal dit” comme dirait Beckett, dans le sens é/mouvant de l’être jaillissant sur le 58 Su m m e r 1991 B ish o p mode du provisoire, de cette “ imperfection [qui est aussi] la cime” (Bonnefoy: D, 152), d’un devenir participant d’un éternel. Etre—et écrire, ou peindre—dans-le-sens-de-la-vérité, c’est dire l’être sur le seul mode de la vérité qui nous soit accessible, celui d’un dit témoignant spectralement , lacunairement d’un indicible, cheminant dans le “lit du sens” (Deguy), dans l’absolu relatif de notre création, vers l’Un qui le soustend , le porte. Zola rêve de voir, dans un musée imaginaire, cet indicible, cet invisible qu’est la somme peinte de la terre. Et Baudelaire nous con­ seille souvent d’aimer toutes les différences du même (cf. OC, 818), geste idéal emblématique d’une vérité non seulement transpersonnelle mais aussi divine, indicible. * La poésie contemporaine puise sa dialectique fondamentale dans l’effervescence et les ruisselantes ambivalences et tensions de Dada, du surréalisme et du “ cubisme” apollinarien et reverdien. La première guerre mondiale impose aux consciences dadaïstes naissantes le règne d’une méfiance et d’un scepticisme systématiques qui replonge tout acte, tout sentiment, toute idée dans sa relativité intrinsèque et risque de l’entraîner dans l’abîme d’un nihilisme rigoureux. Mais, comme l’explique Breton, au-delà de tout, “pessimisme” définitif—ceci malgré les suicides... Si la conscience reste de ce que Jacques Vaché appelait “ l’inutilité théâtrale et sans joie de tout, quand on sait” , conscience d’une anti-vérité empêchant l’éclosion de toute vérité “ hugolienne” ou même “ rimbaldienne” , si j ’ose dire, et bloquant la route de l’indicible, il ne faut sous-estimer ni le caractère jubilatoire, le besoin de célébrer, même...

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