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La parleuse muette Gisèle Mathieu-Castellani La peinture est une parleuse muette, qui s’explique sans dire mot, et une éloquence de montre qui gagne le cœur par les yeux. Ses discours ne Pépuisent point, elle fait des leçons publiques sans interrompre son silence. (Menestrier) H ANTÉE PAR LA REPRÉSENTATION, la poétique de la Renaissance, prise entre l’imitation des modèles (littéraires) et le désir de “ ressembler la nature” , résout le dilemme en décrétant naïves et naturelles les belles descriptions des anciens auteurs. La poésie entre alors en rivalité mimétique avec la peinture, que les vives fureurs animent aussi de leurs boutées: l’analogie de ces deux modes de représen­ tation se soutient de leur commune réduction au statut discursif; le topos ut pictura poesis se renverse en un nouveau topos ut poesis pictura, d ’autant plus commodément que le méta-langage critique impose à la poésie et à la peinture une même grille de lecture rhétorique, les traitant l’une et l’autre comme des avatars de Voratio persuasive... La peinture s’offre ainsi à la poésie comme le paradigme d’une représentation codifiée par le vraisemblable, qui donnerait l’illusion du vrai, c’est-àdire du réel, la confusion étant constante entre ces deux ordres de vérité. Si le discours silencieux de la peinture peut/doit se déchiffrer comme le discours bavard de la poésie, sa soeur jumelle, qu’en est-il de leur rencontre lorsqu’ils sont pris dans une structure dialogique? C’est la question que l’on posera aux compositions emblématiques, censées con­ juguer message verbal et message iconique pour produire du sens qui ne se construirait que dans le nœud de paroles et d ’images. Les emblèmes entrent en compagnie des hiéroglyphes, des blasons, des devises, des médailles, dans la classe des images symboliques, ces systèmes de représentation à codes forts dans lesquels les choses sig­ nifient. On les interrogera avec d ’autant plus d’intérêt qu’eux-mêmes questionnent le rapport toujours problématique du figurant et du figuré: le concept ou la notion s’offre à la compréhension par le medium d’un ensemble de signes codifiés par la pratique emblématique. Le terme technique d ’emblème s’applique aux ouvrages bigarrés de Vol. XXVIII, No. 2 25 L ’E s p r it C r é a t e u r quelque pièce de marquetterie, comme le souligne J. Le Fèvre dans sa traduction d ’Alciat; le grec emblema, étymologiquement ce qui est enfoncé dans, ou appliqué sur, désignait notamment le travail de mosaïque, ou l’ornement en relief sur un vase; métaphoriquement il désignera toute incrustation ou “ belle peinture” ornant un texte sen­ tencieux. L’emblème, dans la littérature médiévale (et en particulier dans les Bestiaires) est un figurant non figuré: il dénote une “ réalité” , un objet quelconque du monde naturel, animal, végétal, minéral..., qui en “ signifie” une autre, d’ordre conceptuel, par métonymie ou synecdoque; ainsi en va-t-il du lion, emblème du courage, du lierre, emblème d’ingratitude, ou de la colonne, emblème de la force. Le déchiffrage y est en principe à l’abri de toute indécision, contrôlé par le code figuratif pré­ sent à l’horizon du texte, à la fois origine et caution du système de repré­ sentation. De l’envoi du message à sa réception, nul parasitage ne vient brouiller le procès de communication, dont les codes, communs au destinataire et au destinateur, sont fixés par la symbolique conven­ tionnelle. Que l’emblème s’illustre par une “ peinture” à la Renaissance ne fait donc que renouveler un mode de communication déjà constitué, en se bornant à actualiser une image virtuelle. L’activité de transposition, ici et là, s’autorise d’un même postulat: les choses visibles sont le miroir des invisibles, l’univers est une forêt de symboles... Le...

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