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Les Géorgiques: langage et fiction Dina Sherzer D ANS SES ÉCRITS THÉORIQUES, dans les interviews qu’il accorde aux critiques et aux journalistes, et dans son discours de Stockholm Claude Simon souligne l’importance qu’il donne au langage dans l’élaboration de ses romans. Voici un exemple dans lequel Simon explique son travail: J’ai toujours été frappé par la quantité de souvenirs, d’images, d’émotions qui assaillent un homme en nombre incalculable en un seul instant. Et dans mon travail de romancier j’essaie de voir comment toutes ces images et souvenirs s’associent dans l’esprit, tantôt par ressemblance, tantôt par contraste. Je crois que le seul moyen pour mener à bien cette exploration, c’est de s’aider de la langue qui établit elle-même tellement de rapports entre des éléments qui peuvent être éloignés dans le temps des horloges et de l’espace mesuré. En explorant cette langue qui parle déjà en nous par ses figures (les tropes, les méta­ phores, les métonymies) qui établit déjà un réseau de relations, on peut réussir à trouver comment tout cela s’organise, quels mécanismes et quel ordre en réalité existent sous ce désordre apparent d’images.1 Que signifie explorer, s’aider de la langue? Simon donne à langue un sens général et par ses remarques il montre qu’il est conscient de la langue en tant que système contenant des groupements et des structures spéci­ fiques. Lorsqu’il est question de ce niveau j’utilise le terme langage selon l’usage. Et c’est encore le terme langage qui convient lorsque j’observe chez Simon l’utilisation du langage comme forme d’expression prag­ matique. J’emploie aussi le terme langage lorsque je discute comment Simon inscrit dans sa fiction des réflexions sur les propriétés sémiotiques du langage, à savoir les rapports entre expérience, langage et fiction. Je me sers du terme langue lorsque j’examine comment dans sa pratique scripturale Simon utilise les possibilités lexicales et syntaxiques propres à la langue française. J’ai choisi Les Géorgiques1 car ce roman est con­ sidéré à ce jour non seulement comme le chef-d’œuvre de Simon, mais aussi comme une somme de ses thèmes et de ses techniques. Langage et fiction dans LG donc, mais aussi effets de langage et de fiction dans l’œuvre de Simon. Lorsque Simon remarque que les images et les souvenirs s’associent dans notre esprit tantôt par ressemblance, tantôt par contraste, lorsqu’il 72 W in t e r 1987 Sherzer signale que la langue établit des rapports entre des éléments éloignés, il fait allusion à un processus fondamental du langage, la connexion sémantique, qui peut avoir lieu par binarité ou par similarité. En choisissant comme titre LG qui dans le texte de Virgile subsume l’opposi­ tion de la guerre et de la terre, Simon inscrit dans son propre titre le processus qui va ordonner l’univers sémantique du livre, à savoir la mise en corrélation d’entités qui sont liées entre elles par un rapport binaire. Ainsi l’opposition terre et guerre commence une série qui comprend la vie et la mort, Eros et Thanatos, l’ordre et le désordre, la jeunesse et la vieillesse, la destruction et la construction, le passé et le présent, la gloire et la défaite, l’animé et l’inanimé. Ces thèmes que Simon propose articulent des oppositions binaires qui occupent l’espace mental de tout être pensant, car ce sont des forces coprésentes qui s’affrontent dans la vie et dans le monde. Le principe de similarité par lequel une entité en suscite une autre semblable mais différente organise le contenu d’ensemble des G. Le roman est un montage de trois récits: celui des activités d’un général sous la Convention et l’Empire, celui d’un soldat de deuxième classe lors de la débandade du régiment Sambre et Meuse en 1940, et celui d...

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