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Changer d’avis: Montaigne, histoire, radotage Marc E. Blanchard Quant à un seul Dieu, le discours leur en avait pieu, mais qu’ils ne vouloient changer leur religion, s’en estans si utilement servi si longtemps M ontaigne, “ Des coches” P LACER LA DESCRIPTION à un niveau auquel la relativité de coutumes humaines puisse apparaître, c’est chercher plus qu’une coupure avec l’événement, c’est mettre en question l’histoire en général. Une des pétitions de principe qui devait troubler le plus les historiens de la Renaissance, c’était de poser que les peuples qu’ils con­ quéraient n’avaient pas d’histoire, et que les Indiens, d’autre part, ne semblaient pas percevoir les Européens comme ayant une histoire. C’est ce présent inénarrarable des nouveaux Américains qui, menaçant la tradition ethnocentrique d’une succession continue des Anciens aux Modernes, dans laquelle s’accommodent justement les concepts de changement et de différence, doit intéresser le chroniqueur des révolu­ tions. Que l’idée de révolution au sens politique qu’elle prend au siècle des Lumières demeure inconnue à la Renaissance n’est d’ailleurs pas un paradoxe. “ Changer” pour l’homme du seizième siècle signifie essen­ tiellement deux choses: être pris dans la roue de la Fortune qui balance toutes choses entre Bien et Mal: La nature semble soumise à une loi de retour éternel, où chaque chose est l’objet d’une révolution circulaire en sorte que le vice succède à la vertu, l’ignorance à la science, le mal à l’honnêteté, les ténèbres à la lum ière.1 —ou se laisser prendre à l’inexorable entropie qui guette l’univers, et à l’époque où Montaigne et d’Aubigné écrivent, la France ravagée par les guerres: “ O France désolée! ô terre sanguinaire [...].” 2Montaigne hésite entre les deux: [a] A voir nos guerres civiles, qui ne crie que cette machine se bouleverse et que le jour du jugement nous prent au collet, sans s ’aviser que plusieurs pires choses se sont veuës, et que les dix mille parts du monde ne laissent pas de galier le bon temps cependant? (“ De l’institution des enfans” , 1:26:157) 30 Su m m e r 1987 B l a n c h a r d Résigné au changement perpétuel, il se rallie à la Fortune: “ [b] Et suis homme en outre qui me commets volontiers à la fortune et me laisse aller à corps perdu entre ses bras” (“ De la phisionomie” , III: 12:1061). Mais, d’un autre côté, il ne se fait aucune illusion: ce mouvement perpétuel n’arrange rien, puisqu’au fond tout se répète dans l’ordre des choses: [c] Si nous concluons bien nostre fin, et ce poete de la jeunesse de son siecle, cet autre monde ne fera qu’entrer en lumiere quand le nostre en sortira. L ’univers tombera en paralisie; l’un membre sera perclus, l ’autre en vigueur. Bien crains-je que nous aurons bien hasté sa déclinaison et sa ruyne par nostre contagion, et que nous luy aurons bien cher vendu nos opinions et nos arts. (“ Des coches” , III: 6: 909) Néanmoins, la vie des Américains, si différente de celle des Européens et dont la représentation illumine les deux chapitres des Essais “ Des cannibales” et “ Des coches” , offre matière à réflexion à l’essayiste instable et désabusé. Convivre avec les Indiens, c’est faire face à la nécessité de concevoir un mode d’existence dont la différence radicale doit être résolue: qu’est-ce qui explique l’état naturel des sauvages? Les Américains sont différents parce que leur existence n’est compréhensible que sur le mode d’un habitus et d’une pratique intemporelle et gnomique, restée en dehors de l’histoire jusqu’au moment de l’invasion européenne. “ Des cannibales” , placé stratégiquement après le chapitre sur la coutume, celui sur l’éducation, et celui sur l’amitié, est branché sur la vie de tous les jours. De même...

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