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Michaux et les cygnes Michel Beaujour C ERTAINS SE RAPPELLERONT que le critique Jean-Paul Weber interprétait naguère toute l’œuvre de Paul Valéry comme une vaste modulation sur le thème inconscient originaire de la “ noyade parmi les cygnes” . Complexe exemplaire pour un poète sym­ boliste. En effet, depuis Baudelaire et Wagner, dont le Lohengrin est le chevalier aux cygnes, en passant par son protecteur, Louis II de Bavière qui mettait partout du cygne dans le nom et dans la décoration de ses châteaux, jusqu’aux poètes imagistes Anglo-américains, le cygne peut passer pour l’emblème même du symbolisme; il thématise l’exil du poète et sublime l’acte poétique. D’ailleurs, si l’on en croit Cari Gustav Jung, symboliste s’il en fut, le cygne désigne précisément la sublimation dans le contexte alchimique, où, avec l’aigle, son frère dans l’imaginaire, il symbolise le spiritus sublimé (spiritus = esprit, comme dans esprit de sel).1Il existe un cygnus Hermetis (ou anser Hermetis) et cette appartenance confère au palmi­ pède en question une place de choix dans la mythologie hermétique.2Et, de plus, “ cygne” ne se dit-il pas, au figuré selon Larousse “ de quelques écrivains ou poètes célèbres par la grâce ou la pureté de leur style: le cygne de Mantoue, Virgile, le cygne de Cambrai, Fénelon” .3 Cette consubstantialité avec le sublimé n’assure pas au cygne, bien au contraire, un destin poétique heureux. On se souvient de celui de Baude­ laire, variante urbaine de l’albatros, exilé parmi les insupportables chan­ tiers qui bouleversent le vieux Paris: 1. C. G. Jung, Psychologie et aichimie, trad. française (Paris: Buchet Chastel, 1970), pp. 466-69. 2. Ce que confirmait peut-être l’emblème XLI de la Délie de Scève: Léda et le cygne: Cele en aultruy ce qu’en moy je descouvre. 3. Larousse Universel en 2 volumes (Paris, 1922), I, 584. Larousse ajoute: “ Les cygnes sont de grands oiseaux volant bien, mais nageant mieux encore; leur marche est au contraire fort lourde. Ils se nourrissent d’animaux aquatiques [...] les cygnes font l’ornement des pièces d’eau, mais leur méchanceté est proverbiale” . Ce cliché du 19e siècle ne manque pas de se retrouver chez Flaubert dans le Dictionnaire des idées reçues'. “ Cygne: Chante avant de mourir. —Avec son aile peut casser la cuisse d’un homme. —le cygne de Cambrai n’était pas un oiseau, mais un homme (évêque) nommé Fénelon. —le cygne de Mantoue, c’est Virgile. —le cygne de Pesaro, c’est Rossini” . Vol.XXVI, No. 3 87 L ’E spr it C r éa teu r Un cygne qui s’était évadé de sa cage Et, de ses pieds palmés frottant le pavé sec, Sur le sol raboteux traînant son blanc plumage. Près d ’un ruisseau sans eau la bête ouvrant le bec Baignait nerveusement ses ailes dans la poudre, Et disait, le cœur plein de son beau lac natal: “ Eau, quand donc pleuvras-tu? Quand tonneras-tu foudre?” Je vois ce malheureux, mythe étrange et fatal, Vers le ciel quelquefois comme l’homme d’Ovide, Vers le ciel ironique et cruellement bleu, Sur son cou convulsif tendant sa tête avide, Comme s’il adressait des reproches à Dieu Et celui de Mallarmé, variante hivernale du précédent, pour qui le lac glacé lui-même s’est mué en piège. Je cite les tercets: Tout son col secouera cette blanche agonie Par l’espace imposée à l’oiseau qui la nie Mais non l’horreur du sol où le plumage est pris. Fantôme qu’à ce lieu son pur éclat assigne, Il s’immobilise au songe froid de mépris Que vêt parmi l’exil inutile le cygne. Le cygne figure donc le désir d ’élévation ou de sublimation du poète, tan­ dis que son contexte insolite et intempestif (sol raboteux, poudre, chez Baudelaire; sol, glace chez Mallarmé) connote notre bas...

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