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Reviewed by:
  • Modalités po(ï)étiques de configuration textuelle. Le cas de Molloy de Samuel Beckett by Carla Taban
  • Johanne Bénard (bio)
Carla Taban, Modalités po(ï)étiques de configuration textuelle. Le cas de Molloy de Samuel Beckett, Amsterdam, New York, Rodopi, 2009, 360 p., 72 €

Dès l’ouverture du livre de Carla Taban sur Molloy m’est revenu en mémoire le livre de Bruno Clément sur l’œuvre de Beckett, L’œuvre sans qualités (Seuil, 1994), qui repose sur la prémisse que la principale difficulté de la lecture de Beckett réside dans la distance que la critique doit s’imposer pour éviter le piège du mimétisme, soit la tentation de prolonger les pseudo-assertions théoriques des narrateurs beckettiens. On pourra s’en étonner. Car ces deux œuvres critiques n’engagent pas le lecteur de la même façon : le livre de Clément, qui analyse l’œuvre de Beckett selon les cinq divisions de l’ancienne rhétorique, fait intervenir le texte de Beckett avec une certaine économie et dans le corps de son commentaire, alors que le livre de Taban, privilégiant des « lectures en minuscule » (« extremely close readings ») selon une méthode intégrative, cite de longs passages du roman qui interrompent le fil de sa propre étude, exigeant du lecteur qu’il retourne en arrière et se replonge souvent dans le passage en question, voire dans un autre passage auquel il est comparé. Il n’en demeure pas moins que le principal mérite du livre de Taban est d’ouvrir de nouvelles pistes de lecture du texte beckettien en ne prenant jamais littéralement le métadiscours de l’œuvre de Beckett ou plutôt, comme elle le démontrera à maints endroits, en voyant les discours dénigrants ou modalisateurs des [End Page 815] narrateurs comme des signaux pointant vers des « nœuds po(ï)étiques importants ». Carla Taban ne se tient-elle pas toutefois à une trop grande distance du texte de Beckett? Il est vrai que le lecteur pourra être rebuté par une certaine lourdeur de l’armature argumentative et par l’abondance ou la longueur des notes de bas de pages qui rappellent tout à la fois la thèse et certains ouvrages de linguistique. La pertinence et le raffinement des analyses de textes nous incitent toutefois, il me semble, à passer outre à ces petits obstacles de lecture et à se laisser aller au plaisir de voir se déployer les différents sens du premier texte romanesque de Beckett en français.

Ainsi, combinant au modèle théorique d’Umberto Eco de l’œuvre ouverte des modèles linguistiques, et plus spécifiquement sémantiques, Taban démontre à grand renfort d’exemples que le roman de Beckett est structuré selon des règles de configuration « po(ï)étique » : un terme qui désigne à la fois pour elle un travail poétique sur la langue et les potentialités du texte lui-même comme structure. De l’étude des jeux de mots et de la métaphore à laquelle elle consacre les trois premiers chapitres aux deux derniers chapitres qui considèrent des contextes plus larges, qu’il s’agisse d’autres textes de Beckett ou d’hypotextes, Taban démontre de façon plutôt convaincante qu’une étude du contexte permet de montrer des « mécanismes de génération, différenciation et multiplication de significations » qui s’étendent sur de longues portions de Molloy. Si tous les chapitres paraissent égaux pour la qualité de ces analyses de textes et peuvent, jusqu’à un certain point, être lus indépendamment, on peut tout de même trouver un peu fastidieuse la lecture du premier chapitre, qui se présente tout à la fois comme un inventaire exhaustif des « dispositifs langagiers » de Molloy et un répertoire de leur relevé dans la critique. Le lecteur impatient pourra passer directement au second chapitre, qui, avec beaucoup d’efficacité, cible trois jeux de mots (« les verts et les pas mûrs », « agoniser aux crochets de quelqu’un » et « dans toute sa hideur ») ayant une même opération poétique, soit la littéralisation, pour montrer comment la...

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