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Reviewed by:
  • De Bartleby aux écrivains négatifs. Une approche de la négation by Patrick Tillard
  • Patrick Bergeron (bio)
Patrick Tillard, De Bartleby aux écrivains négatifs. Une approche de la négation, Montréal, Le Quartanier, coll. Erres essais, 2011, 471 p., 34,95$

Cet imposant ouvrage de Patrick Tillard – imposant par la taille : presque 500 pages, et par le style : une prose intelligente et sans jargon–est issu d’une thèse de doctorat soutenue à l’UQÀM en 2008. Le livre a été en lice pour les 75e prix littéraires du Gouverneur général en 2011 dans la catégorie essai, une récompense qui fut finalement décernée à Georges Leroux pour Wanderer : essai sur le Voyage d’hiver de Franz Schubert. Au moment où il terminait ses études de 3e cycle, Tillard était déjà un écrivain expérimenté. Romancier (auteur de Xanadou, paru à L’instant même en 2006), poète et conteur, il a récolté divers honneurs, dont le prix littéraire Jules Laforgue de la nouvelle en 2002. Il est aussi l’auteur de récits jeunesse, dont quelques albums illustrés par Barroux chez Alice éditions. Plus récemment, il publiait un volume de « disharmonies poétiques », Nabuzardan, Nabuzardan! (Moult éditions, 2012). De Bartleby aux écrivains négatifs a certainement bénéficié de cette multiple expérience ; c’est en tout cas ce que suggèrent la fluidité et la sûreté du propos.

Outre l’auteur expérimenté, c’est aussi le lecteur boulimique que l’on discerne au fil des pages de cet essai. De Pessoa à Perec, de Rulfo à Magris, Tillard a truffé son livre de références à des écrivains de contextes variés. Trois d’entre eux ont retenu plus durablement son attention : d’un côté, l’Américain Herman Melville et le Catalan Enrique Vila-Matas, auxquels Tillard consacre les premières parties de sa réflexion ; de l’autre, le Suisse Robert Walser, qui a droit à un chapitre entier (le cinquième et dernier). On pourrait soupçonner Tillard d’aimer faire étalage de son érudition, surtout quand on pense que De Bartleby aux écrivains négatifs provient d’une thèse de doctorat. Ce n’est toutefois pas à ce type de décryptage que nous sommes conviés, même si, convenons-en, l’essai de Tillard n’a rien d’une lecture de détente. Tillard, au lieu de simplement citer les auteurs de son corpus, invite à réfléchir à la substance originale de la littérature et à sa valeur d’aventure sociale (ou asociale : témoin, l’œuvre d’un J. D. Salinger). De la trempe d’ouvrages comme Le pas de l’aventurier. À propos de Rimbaud (2003) de Pierre Vadeboncœur, nourri de la pensée de philosophes bibliophiles comme Benjamin et Agamben, le livre de Tillard dépasse le cadre de son sujet pour rendre hommage à la littérature – un hommage paradoxal, puisqu’il s’appuie sur des écrivains pour qui la renonciation à écrire, le refus, l’exil ou le silence ont joué un rôle capital. Ce qui est célébré obliquement, c’est une littérature qui refuse d’être un poids mort ; une écriture de récalcitrance, pratiquée (ou délaissée) par des auteurs pour qui [End Page 812] l’épreuve du réel l’emporte sur l’image ou la mise en marché, car leur créativité échappe aux impératifs économiques, à l’industrialisation des communications et au formatage publicitaire.

Tillard est parti d’un premier constat : l’histoire littéraire a fait peu de cas des « désaffections d’auteurs », c’est-à-dire des pulsions négatives, des agraphies ou des absences d’écrivains délimitées non pas au dehors, mais au cœur même de la littérature. Certaines de ces défections sont demeurées célèbres : qu’on pense à Rimbaud, cet « opéré vivant de la poésie », pour reprendre la formule de Mallarmé, ou à Kafka, qui enjoignit son ami et exécuteur testamentaire Max Brod de brûler ses manuscrits. Pour peu qu’on s’y attarde...

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