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Reviewed by:
  • L’archipel de Caïn. Pierre Perrault et l’écriture du territoire by Daniel Laforest
  • Jimmy Thibeault (bio)
Daniel Laforest, L’archipel de Caïn. Pierre Perrault et l’écriture du territoire, Montréal, XYZ éditeur, coll. Théorie & Littérature, 2010, 302 p., 26$

Pierre Perrault est surtout connu pour son cinéma. Cinéaste prolifique, son œuvre cinématographique a marqué l’imaginaire québécois en proposant [End Page 784] au spectateur, par son cinéma direct, un regard nouveau sur l’arrière-pays. Ses films, dont — pour ne nommer que deux des plus connus — Pour la suite du monde (1963) et Un pays sans bon sens (1970), ont ouvert la porte à un territoire encore méconnu, soit celui des régions, de cette terre du nord que Jacques Cartier avait comparée à “la terre que Dieu donna à Caïn" ». Un territoire qui jusque-là n’avait été représenté qu’à travers certains clichés négatifs qui avaient pris forme dans l’imaginaire d’un Québec qui se modernise et qui se veut plus urbain.

Ce territoire aride, où le cinéaste avoue faire figure d’étranger venu en découvreur et en explorateur, n’apparaît pas uniquement dans le cinéma de Perrault, il est également au cœur d’une œuvre littéraire qui pour être moins connue n’en est pas moins riche. Cette œuvre littéraire (transcriptions de films, théâtre, récits, essais et recueils de poèmes) se veut le prolongement de l’exploration de cette terre de Caïn qu’a observée Cartier, une mise en mots d’une cartographie retracée à partir d’une vérité encore marginalisée. Daniel Laforest, dans L’archipel de Caïn. Pierre Perrault et l’écriture du territoire, propose de suivre la trace de cette écriture du territoire qu’a tenté d’accomplir le cinéaste et poète.

L’étude de Laforest pose bien d’emblée le statut de Pierre Perrault en poète. Pour ce dernier, la poésie était au cœur de l’œuvre en général, « comme légitimation de chacune de ses entreprises », voire de sa prise de parole. De sorte que l’œuvre poétique de Perrault ne représente pas une activité parallèle, un à-côté, qu’exerce le cinéaste, mais un prolongement au projet cinématographique. D’ailleurs, la poésie suivra le cheminement du cinéma tant dans la modernité de son sujet que dans l’évolution du regard sur un Québec en pleine transformation. Ce qui permettra d’ailleurs à Laforest d’expliquer la position de Perrault au sein d’un Québec qui se modernise à travers celle d’un Fernand Dumont ou d’un Gaston Miron.

Alors, donc, que le Québec se modernise, Pierre Perrault propose une poésie du décentrement en se tournant, notamment dans son cinéma direct, vers une oralité propre à cette terre de Caïn qui semble s’éloigner davantage des préoccupations du centre de plus en plus urbain. La poésie de Portulan et de En désespoir de cause servirait, dans une certaine mesure, à réduire la distance en nommant la réalité de l’arrière-pays toujours inconnu. Pour le poète, pris de vertige face à l’angoisse qu’éveille le vide sémantique, une question s’impose : « que dire du monde exurbain au-delà du pittoresque? Et même davantage, que dire et que faire de soi lorsqu’on le traverse? Comment s’offrir les conditions de la rencontre?»Le « je » devient étranger à son propre pays. Une impression qui s’accentue davantage au lendemain de la crise d’Octobre, en 1970, où le poète se sent seul parmi une multitude indifférenciée qu’il tente d’habiter. Ainsi la poésie de Perrault devient une poésie de l’expérience de celui qui explore, qui découvre et qui cherche à comprendre le monde dans sa complexité et dans sa multiplicité : le Québec qu’il explore prend alors la forme d’un [End Page 785] archipel qui permet la construction du « je ». C’est ainsi...

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