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  • Dans la couleur immergeante, le toucher du monde chez Nicolas Pesquès
  • Franck Villain

Voilà plus de trente ans que Nicolas Pesquès approfondit les mêmes questions: comment être là, d'un coup, avec la colline ardéchoise nommée Juliau? Comment, par le langage, rentrer et approfondir cette relation avant que mille jongleries verbales ne l'effacent en représentation? Comment maintenir le corps dans cet éveil sensible où monde et langue se rencontrent dans un élan pulsionnel? Du premier volume, publié en 1980, au dernier, sorti en 2009, sept livres chez le même éditeur, André Dimanche, et un même titre, La face Nord de Juliau se prolongeant en série 1, 2, 3 . . . que rien ne semble pouvoir définitivement clôturer tant le projet de dire et d'être avec le "mystère du jaillissement" est inépuisable. Deux nouveaux volumes sont ainsi annoncés, faisant passer à neuf cette "aventure de corps réciproques, tangentiels et disjoints, rompus et retrouvés."1 Car dire Juliau, non pas au sein d'un regard qui se projette sur le dehors, mais au travers d'une "embrasure" intérieure permettant le va-et-vient du monde, nécessite un constant travail de déprise, de retour, de cassure et d'invention permanente de l'écriture afin que cette dernière travaille toujours à réduire la distance que le langage et la pensée qui l'habille établissent sur la colline. La poésie de Nicolas Pesquès travaille ainsi constamment eà capter une proximité au monde qui parfois se donne, provisoirement, en un toucher où les distances s'effacent. C'est de ce toucher qu'il sera ici question et nous nous attacherons à en cerner l'espacetemps et les dynamiques perceptives qui le traversent. Nous partirons alors de l'écart qui constitue le noyau dynamique de cette poésie pour aborder ensuite le motif "Juliau," puis la nudité sensible et l'écriture de l'oubli. Nous terminerons alors cette étude en convoquant un texte précis, "L'histoire de la perdrix," où l'ensemble de cette étude rentrera en résonance. [End Page 141]

1. Au cœur de l'écart

Les choses ne sont pas ce que les mots produisent. Elles émergent de ce qu'ils séparent. Elles deviennent visibles et nues comme elles ne le sont pas ellesmêmes. Visibles après le bain. Issues de l'ombre positive de la langue, de l'implacable et lumineux glissement de sa négativité.2

Écrire sur et dans la séparation, écrire les choses passées langage, trempées de mots et de vie encore vibrante, perceptible désormais par l'écriture qui rend "visibles après le bain," et surtout encore "nues," et d'une nudité que les choses n'ont pas "elles-mêmes," une nudité exclusivement verbale, portée, intensifiée et mise en mouvement par le travail sur la page: tel est l'enjeu de cette poésie. Non pas rêverie d'une parole qui imiterait au mieux la mythique transparence, ou en dénoncerait l'illusion; non pas l'exaspération d'une parole qui s'écraserait sur la dureté d'un silence final qui rendrait caduc tout désir de langue; non pas travail laborieux pour remplacer la perte par un bel objet fermé nommé poème; mais une parole lucide, patiente et lente, placée sur "l'implacable glissement de sa négativité," une parole laissée à son travail de rongement, de mise à distance des choses, de deuil accepté et que l'écriture se charge d'accompagner de manière lumineuse. C'est sans doute le tour de force de cette poésie: malgré l'éloignement du dehors dans le langage qui tranche, "écrire mutile et chante la douleur de ne pas pouvoir la conserver"3; malgré les moments de doute sur la vanité du projet d'écriture (plus persistant dans Juliau 3, 4); malgré l'implacable austérité d'une parole en prise avec la force déceptive du langage, cette poésie maintient au cœur de son endurance le désir de dire en plantant au cœur de la séparation la "longue...

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