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SCIENCES HUMAINES 517 avec la repartition« synchronie»/« diachronie» du TLF, OU il s'agit de deux ensembles completement independants l'un de l'autre, rediges par deux equipes differentes et autonomes. Les articles sont riches et complets; les mots sont pleinement decrits du point de vue de leur fonctionnement linguistique, des relations qu'ils entretiennent avec d'autres unites lexicales, de leur histoire et de leur rapport avec les choses qu'ils designent. Le contenu de l'auvrage est mis en valeur par une presentation materielle tres agreable. 11 ne reste qu'a souhaiter bonne continuation pour que se realise enfin Ie vrai dictionnaire du fran<;;ais quebecois tant attendu. (RUSSON WOOLDRIDGE ) Histoire de la langue jranfaise, 1914-1945, s. la dir. de Gerald Antoine et Robert Martin Paris, CNRs-Editions, 1995, 1049 p. Nouvelle histoire de fa langue jral1faise, s. la dir. de Jacques Chaurand Paris, Seuit 1999, 636 p., 195F. Les prefaces du Dictionnaire de l'Acaderniejran(aise, 1694-1992, s. la dir. de Bernard Quemada Paris, Editions H. Champion, 1997, 564 p. Wendy Ayres-Bennett et Philippe Caron, Les remarques de I'Acadernie franfaise sur Ie Quinte-Curce de Vaugelas, 1719-1720. Contribution aune histoire de la norme grammaticale et rhetorique en France Paris, Presses de l'Ecole normale superieure,1996, 427 p., 390F. Henri Meschonnic. De la langueJrm1faise. Essai Sllr une cIarti obscure Paris, Hachette Litteratures, 1997,356 p., 150F. Bernard Cerquiglini, L'accent du souvenir Paris, Editions de Minuit, 1995, 165 p., 99F. Le retour en force de l'histoire, en particulier de l'un de ses derives mal estirnes, la biographie, continue de susciter nombre de discussions et de polemiques. Les reactions varient, qui vant de l'inquietude des tenants de la «theorie» au triomphalisme de ceux que les approches formelles effraient. «Crise» de la theorie, de 1a litterature, de la linguistique et de certaines disciplines des sciences sodales? Retour du balancier? On aurait mieux fait de parler d'une pause necessaire, quasi exigee par l'eclatement des approches et leur extreme formalisation.C'est peut-etre par le biais de l'histoire que I'on reprendra un nouveau souffle et que se renouvellerant les perspectives. 518 LETTRES CANADIENNES 1998 Dans ce contexte, toute forme de «biographie » de la langue fran<;aise, c'est-a.-dire son histoire - intellectuelle ou evenementielle - prend un relief qui retient l'attention. Le xxe siecle a neglige l'histoire de la langue franc;aise, consideree comme une discipline desuete par la grande majorite des linguistes. F. Brunot avait tout dit, semblait-on croire, et en depit de ses nombreux errements (interpretations souvent abusivement « republicaines » de l'histoire sodale de la langue), il est toujours cite. Les programmes de formation en histoire de la langue ont peu a. peu disparu des universites. Depuis Ie debut de la decennie 1990 pourtant, on a pu noter I'emergence d'un veritable interet non seulement pour l'histoire culturelle de la langue (avatar plus au mains inattendu des etudes culturelles), mais egalement pour l'etude des grammaires et des dictionnaires du franc;ais, consideres comme des «artefacts». C'est dire qu'on ne les etudie plus pour leur seul« contenu » grammatical au lexicologique - qui les datait souvent fortement, d'ou leill discredit -, mais pour leurs «discours sur Ia langue», sur Ie culturel et Ie sociat et pour ce qu'ils revelent de la pregnance des institutions ou des intentions du legislateur en matiere linguistique. C'est Ie discours implicite qui interesse maintenant les chercheurs. Les champs litteraire et linguistique 5'en sont trouves ebranles, pour des raisons differentes, certes, d'autant que ces ouvrages se sont multiplies depuis 1995. C'est Ie parcours de cet ebranlement dont il sera ici question, a. travers six ouvrages dont il y a tout lieu de penser qu'ils marqueront leur epoque, et peut-etre une sorte de retour vers l'histoire de la langue fran<;aise, dont il reste beaucoup a decouvrir. Six ouvrages donc, et trois thematiques : l'histoire de la langue franc;aise elle-meme, l'Academie franc;aise et deux grands mythes quicontinuent de hanter l'imaginaire francophone: I'accent circonflexe et « la clartE~ fran<;aise ». DE L'HISTOIRE DE LA LANGUE FRAN~AISE La mort avait empeche F. Brunot de poursuivre Ie travail de son Histoire de la languefrant;aise, commencee au debut du siecle (Ie premier tome parut en 1907). Son eleve et diSciple, Charles Brtmeau, prit Ie relais et publia Ie tome portant sur Ie XIX e siecle, s'arretant en 1880. Gerald Antoine et Robert Martin continuerent le travail, publiant en 1985 Ie volume couvrant Ia pedode 1880-1914. Le quatorzieme volume, dont il sera ici question - Histoire de la languefrant;aise, 1914-1945 - estparu en 1995. Divise en quatre sections (Evolution de la langue; Usages du franc;ais; Geographie et diffusion du fran<;ais; Linguistique et grammaire du fran<;ais), I'ouvrage tente de couvrir une periode mouvementee de Ia langue fran<;aise, bornee par deux guerres mondiales, et marquee par Ie declin de l'usage international du franc;ais et Ie renouvellement, parfois brutal, des formes litteraires. Cette volante de couvrir un tres large champ oblige arecourir ade nornbreux collaborateurs (plus d'une trentaine), ce qui nuit a l'unite de ton de l'ouvrage et a. la SCIENCES HUMAINES 519 qualite des contributions, tres variable. Certaines sont beaucoup plus descriptives qu'analytiques, d'autres sont franchement decousues, par exemple Ie chapitre sur l'orthographe, signe par Nina Catach. Ces contributions sont compensees par Ia presence de chapitres de grande qualite. II fautnotammentsouligner « Languefran~aiseet histoire sociale », deJeanClaude Chevalier, qui trace l'historiographie d'un domaine de recherche marque par la presence de « grands mandarins», comme Brunot, Meillet au Roques. Les filiations entre ces hommes ont eu des repercussions sur la definition des problemes qui ont occupe la linguistique fran~aise, ce que l'on oublie trap souvent. Le chapitre consacre au fran<;ais au Quebec, signe par Claude Poirier, merite aussi d'etre Iu avec attention; c'est une excellente synthese d'une periode que I'on redecouvre etrelit depuis quelques annees. L'ouvrage commence par Brunot etait irritant par ses partis pris, mais il avait Ie merite d'offrir un n~cit relativement homogene. Pour cette suite, on aurait souhaite une meilleure vision d'ensemble, plus clairement tenue entre les differents chapitres. Onaurait sans doute mieux fait de restreindre Ie champ d'investigation ala question posee par l'excellente presentation de Rene Remond: quel rapport y a-t-il entre langue et guerre? *** La Nouvelle histoire de la langue franr;aise, sous la direction de Jacques Chaurand, doit se lire autrement. Ene se propose de fournir un panorama bien informer assorti de references nombreuses et variees (chaque chapitre est accompagne d'une bibliographie complementaire), a l'etudiant universitaire et au lecteur cultive. Il s'agit la d'un programme de redaction beaucoup plus complexe arespecter qu'on ne ne Ie croit, etant donne la complexite du sujet, sa variete et sa multip1icite. Comme le dit excellemment Jacques-Philippe Saint-Gerand, apropos de Ia langue du XIX C siec1e:« II revient donc aune histoire de la langue de decrire les faits linguistiques et les formes d'accompagnement socio-culturelles qui les soutiennent.» C'est dire qu'il faut donner alire une histoire aussi complete que possible, tout en se maintenant dans des barnes raisonnables. On a donc adopte Ie decoupage par siecle et par thematisation restreinte, et le programme d'analyse de l'histoire interne et externe est suivi par les collaborateurs, ce qui maintient la coherence de l'ouvrage. On aurait souhaite un traitement pIus complet de l'histoire de I'orthographe, SUItouten ce qui touche la crise fondatrice du tournant du siec1e (p. 659-661). Ces pages contiennent quelques erreurs de faits et de perspective (et elles ne sont pas mentionnees a l'index, sous l'entree orthographe). Cette reserve mise apart, et considerant l'insuffisance des ouvrages de vulgarisation presentement disponibles, il convient de reserver un bon accueil acette Nouvelle histoire de la langue frant.;aise, qui comble un vide ressenti par taus ceux qui ont a enseigner l'histoire de 1a langue. 520 LETTRES CANADIENNES 1998 DE L' ACADEMIE FRAN<;AISE L'Academie fran<;aise (son histoire, plus precisement) semble connaitre un retour en grace depuis quelques armees, notammentacause du phenomene des etudes culturelles evoque plus haut. Les deux ouvrages qui lui sont consacres se sont donnes pour tache de remettre en circulation des textes tres souvent cites, mais en fait mal connus et d'acd~s difficile. Les prefaces du Dictionl1aire de ['Academie jranfaise, 1694-1992, sous la direction de Bernard Quemada, est un ouvrage tres bienvenu. Choisissant de considerer I'Academie comme un «lieu de memoire» plutot que de critiquer radicalement ou d'admirer sans discernement, et de considerer Ie dictionnaire de l'Academie comme un ouvrage unique en son genre, les contributions etudient Ie «seuil)} du texte dictionnairique, c'est-a-dire les prefaces, ou sont reaffirmesdepuis Ie xvne siecle les grands principes qui guident Ie travail academique. Le texte des differentes prefaces (1694, 1718, 1740, 1762, 1798, 1835, 1878, 1935 et 1986) est chaque fois donne dans son entier et assorti de notes eclairant les circonstances de redaction. Les introductions qui accompagnent chacune des prefaces ne sont pas tautes d'un egal interet cependant. Les reflexions sur les doctrines orthographiqueSt notamment, sont parfois decevantes en ce qu'elles cedent au cliche. Neanmoins, certains chapitres rendent enfin justice a. des editions moins etudiees du dictionnaire, notamrnent celles de 1718 et de 1878. Le dictionnaire est situe dans son contexte culturel, social, scientifique et mis en rapport avec ses concurrents. Les temoignages des contemporains, souvent peu connus au difficiles areperer, fournissent de pnkieuses indications sur un ouvrage dont on dit beaucoup de mal, mais que peu de gens frequentent . En depit de ses inegalites, l'ouvrage dirige par Bernard Quemada est maintenant a peu pres indispensable a qui s'interesse a l'histoire de la langue fran<;aise. * * * L'edition critique des Remarques de I'Academie franr;aise sur Ie Quinte-Curce de Vaugelas etablie par Wendy Ayres-Bennett et Philippe Caron est un ouvrage tout afait remarquable, tant par la qualite materielle de la presentation -Ie manuscrit complet des Remarques... est donne en facsimileque par Ie commentaire de ce texte glose, mais peu connu. Le commentaire critique ne phagocyte pas son objet, il1e respecte et l'eclaire, et il donne au lecteur des pistes de lecture qui lui permettent de se retrouver dans ce qui apparalt, a premiere vue, arbitraire et desordonne. Car en eifet, sous l'apparent arbitraire dictatorial, on voit surgir une doctrine, une voix dont les gouts sontparfois fortement exprimes,mais suivantune ligne directrice. Les XVlt' et XVIIIl' siecles considererent la traduction comme une grammaire appliquee, c'est-a.-dire camme la mise en ceuvre d'une grammaire qui SCIENCES HUMAINES 521 s'affinait au fur et amesure que surgissaient les prob1emes poses par la traduction. La traduction du Quinte-Curce, consideree comme un modele linguistique et reimprimee jusqu'au XIX e siecle, occupa Vaugelas pendant presque trente ans. Lorsque I'Academie, apres la publication de la deuxieme edition de son dictionnaire en 1718, choisit de passer a«l'observation des auteurs», c'est la celebre traduction qui retint son attention, non pas en tant que traduction, mais en tant que «texte fran<;ais ». Des remarques academiques sur ce texte, Ayres-Bennett et Caron degagent ce qu'ils appellent « l'orientation cardinale de l'esthetique dassique », soit la purete de la langue, 1a propriete des mots et des phrases et la nettete du texte. Parce que Ie texte est Wle « machine de haute precision», I'arnbigu'ite est pourchassee afin de livrer au lecteur un texte coherent, sans negligence ou metaphores deplacees. La doctrine de la clarte du texte s'installe au fur et arnesure de I'etude du texte de Vaugelas et l'on peut en lire la formation atravers les remarques academiques OU 5'elabore un discours devenu univoque , une enonciation impersonnelle. La double fonction poursuivie par cette edition critique - restitution d'un texte inaccessible, histoire critique d'une doctrine linguistique - en fait un ouvrage de toute premiere valeur. DEUX MYTHES Acette precision des sources et des analyses, aceUe mise en lumiere du moment de cristallisation; s'oppose l'ouvrage de Henri Meschonnic; De la languefran~aise. Essai sur une clarte obscure, dont Ie traitement du concept de«clarte fran<;aise» - inspire par Ie type de reflexion utilisee par Jean Paulhan apropos de la poesie - deconcerte parfois. Voulant analyser ce qu'il appelle «un motif fondamental dans l'histoire et Ie fonctionnement culturel et politique de la langue fran<;aise )), Meschonnic s'attaque au mythe du genie de la langue et au sous-texte qui l'accompagne inevitablement : celui de la clarM fran<;aise, dont les laudateurs continuent de faire une «nature)) de la langue. Or, ceUe clarte est phenomene historique, constitue historiquernent, et il 5'est ente sur la litterature de telle maniere qu'il est devenu impossible d'evoquer la clarte sans Ie corpus litteraire qui est cense J'illustrer, au rnieux, Ia manifester. La darte, effet de discours et non phenomeneproprement linguistique, a echappe ason historicite, grace al'efficacite de certains textes celebres, ceux de Bouhours ou de Rivarol par exemple, dont on connait la formule lapidaire: ce qui n'est pas clair n'est pas fran<;ais. Plusieurs des grands linguistes de ce siecle, Dauzat, Mornet, Meillet ou Bally, ont cede au mythe, Ie plus souvent inconsciemment, comme Ie montre Meschonnic. 11 aurait ete approprie de relire attentivement F. Brunot sur cette question; Brunot qui fut largement responsable de la consolidation de certains mythes, ayant litteralement bati, ou rebati, de larges pans de I'histoire de la langue. Cette entreprise de deconstruction d'unmythe,lorsqu'elleest appliquee au domaine orthographique (chapitre 522 LETTRES CANADIENNES 1998 18), met en lumiere la difficulte qu'il y a de penser la langue - orale autant qu'ecrite - hors de son contexte social et politique. Ce qui renvoie dos ados les linguistes tenants de la seule «efficacite» du langage et les apologistes catastrophistes ou esthetisants. Comme Ie demande Meschonnic, peut-on vraiment penser la langue sans la litterature qui l'accompagne? *** De la meme maniere, c'est-a.-dire en considerant l'histoire de la langue cornme un facteur essentiel ala comprehension des debats linguistiques contemporains, Bernard Cerquiglini, dans L,accent du souvenir, s'est attache a retracer Ie parcours du signe orthographique qui a suscite des debats passionnes depuis Ie seizieme siecle :I'accent circonflexe D'abord eonsidere camme Ie symbale ultime de Ia modernite, l'accent circonflexe ne s'est que lentement impose, c~ntre les tenants de la «belle ecriture », pour lesquels Ie texte avait une beaute physique, une beaute plastique fadlitant l'acte de lecture et Ie renvoi aux grands predecesseurs. Introduit a peu pres systematiquement dans Ie Dictionnaire de I'Academie franc;aise en 1740 (troisieme edition), l'accent circonflexe joua ensuite un role phonologique (assurant la distinction entre voyelles Iongues et courtes - informant par consequent l'oreille), et paradoxalement, un role etymologique (remplacement de certains s - informant Ie regard done), pour etre enfin transfere dans Ie camp des reliquats historiques. La tentative de reforme orthographique de 198~1990 a bien montre combien l'accent circonflexe s'est impose dans l'imaginaire francophone, Franc;ois Mitterand allant jusqu'a declarer, en janvier 1991, qu'il ayaH « sauve quelques accents» de la main des bourreaux . Cet ouvrage de Cerquiglini, tout comme celui qui Ie suivit (Le roman de l'orthographe, Paris, Hatier, 1996), est a mettre entre toutes les mains. Prenant Ie contre-pied de bien des idees re<;ues, il recadre l'histoire de l'orthographe du fran<;ais en l'extrayant de l'opposition peu productive reformateurs/conservateurs. C'est a I'histoire de l'ecrit qU'appartient l'orthographe franc;aise (comme l'orthographe de toutes les langues, d'ailleurs ) et c'est la qu'elle trouve ses justifications, qui depassent largement Ie conservatisme trop souvent allegue par les amateurs de phonocentrisme. II ne reste qu'a souhaiter que cet ouvrage circule plus largement qu'il ne I'a fait jusqu'a maintenant, et I'on s'etonne de ne pas Ie voir cite par Franc;oise Gadet dans ses quelques pages consacrees aI'orthographe (d. Nouvelle histoire de la languefran~aise). Les mythes linguistiques ont une duree de vie pariois etOlUlante. (YANNICK PORTEBOIS) ...

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