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SCIENCES HUMAlNES 179 Daniel Le Couedic, Les architectes et l'idee bretonne 1904-1945: d'un renouveau des arts Ii La renaissance d'une identite Rennes et Saint-Brieue, Societe d'histoire et d'archeologie de Bretagne, Archives modernes d'architecture de Bretagne, 909 p. L'ouvrage, veritable sornme, est de ceux que les historiens d'art et les historiens d'architecture gardent pres d'eux, pour referencej i1 en est aussi tID qu'on lit par pur plaisir, ala llimiere d'une lampe de chevet. Daniel Le Coueruc, que des bibliotheques franc;aises et canadiennes connaissaient deja par ses travaux sur ]'architecture du xxe siecle - avantgardiste au traditionaliste - en Bretagne, revient en librairie avec ce livre, Les architectes et l'idee bretonne, qui impose presque autant par son poids physique que par Ie poids des cormaissances qu'il met au jour. L'ouvrage seduit: 909 pages soigneusement assorties d'un graphisme raffine, abondamment illustrees en couleurs et en noir et blanc, enluminent ce travail d'erudition, pare d'une rigueur conceptuelle remarquable et de l'ecriture semillante de son auteur. La Bretagne, peninsule etirant la France entre la Manche et I'Atlantique, tisse la trame du fI~cit: Les architectes et l'idee bretonne, comme l'indique Ie titre, expose l'rustoire des quetes d'identite politique, sociale et culturelle parfois autonomistes qui y convergerent, entre 1904 et 1945. L'idee bretonne resume Ie motifde cette convergence: devant Ie postulat d'illle particularite propre a la Bretagne - motif regionaliste pour les uns, autonomiste et nationaliste pour d'autres - penseurs, litteraires, artistes, architectes auraient entrepris, comme Ie propose Le Couedic, de reincamer atoutes fins utiles son terroir, menace de modernisation ou d'anonymat. Si les quetes identitaires modemes sont aujourd'hui l'objet de I'interet croissant des historiens - et tout particulierement des historiens d'architecture - Ie s1l-jet (breton) est, lui, bien nouveau. Comme d'autres terroirs reputes, la Bretagne, rute (et cultivee) traditionaliste et inunuable, avait ete ecartee de l'histoire du rnodernisme concentree aut~ur des avant-gardes. Or, al'heure au les expressions «marginales» et les antiheros gagnent en noblessedans les travaux des chercheurs, un tel ~< territoire vierge», dontles plus grosses viIles comptent encore moins de 300 000 habitants, se pretait de surcroit atIDe investigation de choix: en effet la Bretagne, apparemment occupee aressasser son passe, aurait ete dans la premiere moitie du siecle Ie theatre de revenrucations identitaires dont l'ceuvre des artistes et des architectes, voire lao globalite du paysage concret, seraient tributaires et porteurs. Le Coueruc ne s'est donc pas etorme de voir figurer plusieurs architectes aunombre des fondateurs et des protagonistes decesrevendications amorcees al'enseigne du «Mouvement breton»; naturelle, cette intuition d'un rapport entre la culturation des createurs et la culture de leur terrain d'exercice l'a conduit a formuler l'hypothese d'Wl lien entre la 180 LETTRES CANADIENNES 1995 recherche d'un Iangage architectural du xxe siecle, la constitution de la profession d'architecte, etla «renaissance» de la Bretagne, via, notamment, la constitutiond'unfolklore la particularisant. C'est dire, pour caricaturer un peu, que Les architectes et l'idee bretonne retrace l'histoire (moderne) de la«maison du paysan». Mais I'ouvrage ne se limite pas a I'analyse de cet embleme, loin s'en faut. Rationalisme, pittoresque, regionalisrne et nationalisme qui y relTouverent ainsi I'heritage, Ie «bretonnant», la distinction, ont donne l'occasion a Le Couedic d'un tableau autrement plus vaste et plus complexe: ala recherche d'expressions nouvelles, d'une part, et en quete de particularisation, d'autre part, l'architecte en Bretagne (qu'il soit ou non breton) devient pretexte a une histoire de l'architecture en general, voire aune hlstoire de 1a culture au xxe siec1e. Les architectes et l'idee bretonne raconte done pourquoi et comment cet Architecte, autour duquel gravitent meubliers, dtkorateurs, costumiers, acteurs, publicistes, peintres, dessinateurs, etc., presida au choix et a Ia diffusion d'archetypes «bretons», imagines, fabriques, ou transrnues, tout particulierement dans Ie paysage construit. La chronologie de l'ouvrage institue une comcidence precise entre l'histoire de I'architecte etcelle de l'idee bretonne. En titre, I'auteur propose d'une part 1904, annee de creation de 1a premiere ecole d'architecrure en Bretagne, aReIU1es, alors que la legislation deniait ala langue bretonne la plupart de ses droits d'existence. D'autre part, 1945 marque la creation d'une seconde ecole d'architecture, aNantes, «la rivale» qui ne partageait pas les velleites bretonnantes de sa cousine provrnciale; mais la fin de la Seconde Guerre est aussi celle de l'idee bretonne, dont l'apotheose, SOllS les traits de ce qui etait devenu un nationalisme fervent, conduisit finalement au naufrage de toutes expressions soup<;onnees d'autonomisme, mortes avec Ie deces ou Ie discredit de leurs initiateurs. Semblablement consequente de l'hypothese trilogique, la table des rnatieres va de «I'invention de l'architecte» jusqu'a «l'effondrement d'une illusion». L'ouvrage s'ouvre ainsi sur les efforts des archltectes tentant d'acquerir un statut professionnel, et sur ceux des Bretons, tout particulierement , en vue d'obtemr Ia reconnaissance de leurs formations et carrieres provinciales en regard de Paris; des lors Ie lecteur specialiste peut entreprendre de reconstituer, au fil des quatre «!ivres» qui partagent l'ouvrage, 1a recherche d'un art «authentiquement breton», devant Ie {(grand mouvement moderne mondial». Mais si les faits sont inconnus et leur lecture, nouvelle, Ie neophyte ne sera pourtant pas rebute: pour Ie«lecteur peu informe)}, comme ille designe, Daniel Le Couedic a litteralement truffe son expose de references contextuelles, qui etoffent sa demonstration , certes, mais dont la rhetorique habile, aussi, soutient l'arnateur. Ce n'est done pas une digression, mais bien une ligne tendue, que cette premiere phrase de I'ouvrage qui pose la naissance de]'architecte«modeme» en 1671. SCIENCES HUMAINES 181 De fait, quoique l'ardente rhetorique Ie voile au premier abord, la structure de I'expose est precise, les hypotheses y sont daires,la methode, explicite et Ie deroulement (chronologique) toujours rigoureux. Cependant Ies champs couverts sont imrnensesi c'est ce qU'evoque Ie sous-titre «D'un renouveau des arts ala renaissance d'une identite», qui apparait deliberement vague, non pas par imprecision, mais plutot pour exposer la pluralite des idees, des expressions et de leurs rapports, dans une Bretagne de surcroit abreuvee aI'Europe entiere, voire aI'Amerique du Nord. Retrouver Le Corbusier visitant et dessinant cette Bretagne n'est done guere surprenant relire l'art nouveau, Ie cubisrne, Ie futurisme, ou redecouvrir la GrandeBretagne , Ia Belgique flamande, I'Allemagne, la Russie l'est peut-etre davantage. C'est l'option methodologique d'une histoire des idees - plutot qu'une stricte histoire des objets, des evenements, ou des personnages - qui a de la sOfte enrichi «l'objet breton». Interpelle par une litterature «d'epoque» abondante - plus de 1500 titres, de Ia critique aux aveux d'intention, ont ete recenses - Le Couedic a choisi de retracer les «sentiments, decisions, realisations et les justifications» des architectes et des artistes, dont il decode les textes, analyse lesprojets, decrypte les reuvres. Parmi les sources se trouvent meme des entretiens, realises par I'auteur avec des acteurs de cette histoire bretonne, ou avec leurs proches et contemporains, qui fournissent une merveilleuse substance aux personnages ainsi dotes de personnalite. Articulee acette panoplie de sources, et armee d'un appareil conceptuel de pareille envergure,la dissertation est done fort dense, on s'en doute; elle l'est tant et si bien que les quelque 400 illustrations ne correspondent pas toujours precisement au corps du texte, mais constituentplutot une histoire parallele, que Ie «feuilleteur» pourra reprendre a loisir. A l'evidence, expliquer les idees a travers les carrieres, les debats d'opinion et Ies productions pendant plus de quarante ans requerait que l'auteur glisse ainsi sur les images ponctuelles; en revanche, il faut avouer que la kyrielle des evenements et, surtout, des persOlmages appelle aelle seule toute la concentration du lecteur qui, parfois, devra etre considerablement attentif afin de ne pas confondre entre eux les quelques 2 500 personnages recenses en index, qui peuvent se retrouver adix dans une page, chacun temoignant d'une carriere, d'une opinion, d'une idee. Peche de passion ou d'erudition, cette densite parfois excessive est nearunoins Ie materiau d/une reelle histoire, en amont de laquelle Daniel Le Couedic apparalt conune un authentique conteur. II faut dire que la tendresse dont il fait preuve al'egard des motifs de l'idee bretonne trahit, a tout Ie moins, son attachement pour Ie sujet; mais l'emportement de l'auteur avoir Ie monde depuis la Bretagne est aussi responsable de la qualite globalisante de l'ouvrage et, surtout, de la formidable cohesion du recit. Certes volubile, rnais ni herrnetique ni cloisonne,ce livre, tel un 182 LETTRES CANADIENNES 1995 roman, raconte veritablement une histoire, alimentee de 1a richesse des sources decouvertes et de I'acuite des analyses, ce qui prouve une fois pour toutes que la recherche fondamentale petit rayonner hors des quartiers du chercheur. C'est une prouesse rarement egalee de colliger tant de science dans un recit, et il convient d'applaudir Ie genie de l'auteur et la vertu de sa langue d'avoir compose un objet d'investigation localise en une histoire interessante, vivante,et etendue meme au-dela des frontieres de I'Occident. Peu habitue aux textes doctrinaux qui fondent cette histoire des idees, l'historien d'architecture canadien, plus familier avec une histoire par les objets,sera peut-etre un moment deroute par ce foisonnement d'organes de diffusion, de lettres d'intention, et de groupements ideologiques. Le depaysement ne durera pas: chose stupefiante, !'idee bretonne trouve effectivement un equivalent dans ce qu'il conviendrait done de nommer l'idee canadienne-fran~aise, et bien au-dela de «l'exemple canadien» qui inspira, selon Le Couedic, les penseurs bretons. Depuis Ie regionalisme breton jusqu'au nationalisme quebecois, en passant par Ie pittoresque,Ia determination geographique ou la justification historique, il faut constater qu'il existe une comcidence deconcertante entre les motifs, les aleas et 1es resultats des recherches architecturales et artistiques en Bretagne et au Canada fran~ais ou, justement,la quete d'une expression locale s'amon;a notamment avec 1a creation d'un nouvel enseignement de l'architecture, a l'Universite McGill. Cette parente - Le Couedic en a d'ailleurs deja aborde certains aspects, il y a quelques annees - vaut aelle seule l'interet que les chercheurs canadiens trouveront al'ouvrage ; et en-dec;a de I'emotivite qui n'evoquera a certains que I'ascendance d'une Bretagne Iuttant pour son autonomie ou cene d'une France federative ,l'aventme tangible d'un langage formelliant les quetes identitaires du xxe siede offre des bases nouvelles a une recherche plus nuancee, qui pourra decouvrir autour des monuments d'avant-garde les tenants et les aboutissants de la majeure partie du monde construit rnodeme. Les archi- , tectes et l'idee bretonne, apropos d'une architecture de seduction qui confirme plus qu'elle ne reforme, apropos des genres «mineurs» - mais nombreux - du paysagebati et des arts en general, apropos de la commande, des idees qu'elle engendre, et des rapports entre l'espace socioculturel et I'espace materiel, plaira incontestablement aux Iecteurs postmodemes. 909 pages, 1 500 references bibliographiques, 400 illustrations, 2 500 personnages... II est tentant de rendre compte du livre par quantiMs, tant on reste abasourdi devant la somme des savoirs qu'il rassemble. Mais catalogue quasi encyclopedique de decouvertes ou modele methodologique , l'ouvrage, aI'evidence, assistera les travaux des historiens d'art et des historiens d'architecture canadiens, qu'ils s'interessent a 1a pratique professionnelle ou 'aux contextes formels; puis, aceux 13. et aux autres, dans tous les cas, Daniel Le Couedic a offert l'agreable lecture d'une borme histoire. CLUC NOPPEN et LUCIE K. MORI5SET) ...

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