Autour de Sereine carrière de Paul-Emile Borduas: une obscure clarté venue du fond d'un espace intérieur en transformation continuelle

MICHEL LORD Autour de Sereine carriere de " Paul-Emile Borduas :une obscure clarte venue du fond d'un espace interieur en transformation continuelle La vie de Paul-Emile Borduas prend Ia forme vertigineuse d'une serie de transformations qui conferent a son parcours existentiel I'allure d'un~ comete s'effritant au contact de l'air dans sa chute vers la terre. Mais dans Ie fond, cette chute est egalement une ascension, comme une montee de l'artiste vers I'ascese, une ascese paradoxaIe, car dans sa course, Borduas cherche tout autant la possession de la terre tout entiere, comme si cet kare des arts quebecois se transformait en Phenix, cet oiseau qui renait de ses cendres. Ce serait la une des caracteristigues de I'ceuvre finalement proteiforrne de cet homme qui, avant de se depoui11er de tout apparat, aura cherche ase nourrir aux sources les plus diverses. De son exil parisien, un an a peine avant sa mort, Borduas dresse un bilan somrnaire de sa vie: «Je me suis reconnu de man village d'abord, de rna province ensuite, Canadien franc;ais apres, plus Canadien que Franc;ais a Jnon premier voyage en Europe, Canadien (tout court, mysterieusement semblable ames compatriotes - anglophones) a New York, NordAmericain depuis peu, et de la, j'espere posseder la Terre entiere !1 » La trajectoire existentielle et artistique de Borduas, qui remplit et deborde la premiere moitie du xxe siecle, demeure toujours exemplaire de ce que ce qu'on pourrait appeler une certaine forme de quebecitude. Enracine pres du mont Saint-Hilaire, « dans Ie coin Ie plus Ile-de-France de notre province» (Elie, 273), Borduas s'est litteralernent batrn c~ntre son milieu pour conquerir sa place en tantque peintre et professeur al'l~cole du meuble aMontreal. Supporte un temps par certains membres de l'elite, dont il avait fini par faire partie2 en depit des lacunes de sa propre education, il romp lui-meme et presque inconsciemment les arnarres en aout 1948 par la publication de Refits global, et subit consequemment Ies foudres du regime Duplessis qui, par Ie biais du ministre Paul Sauve (£Utur premier ministre du Quebec qui mourra subitement lui aussi quelques semaines avant Borduas),lui fait perdre son poste de professeur de dessin 1 Paul-Emile Borduas, LettTea Claude Gauvreau, dateedu 21 janvier 1959, citee dans Robert, 116. 2 « Borduas appartint tres tot al'elite mandarine qui presidait aux destinees du Quebec. C'est au CCEur de cette elite que sejouera ledrame de sa vie et de son ceuvre» (Ethier-Blais, 21). UNIVERSITY OF TORONTO QUARTERLY, VOLUME 66, NUMBER 2, SPRING 1997 PAUL-EMILE BORDUAS 421 Paul-Emile Borduas, Canadian (19°5-1960) Sereine CLlt7'iere, 1952 oil on canvas, 52 x 67 em University College Art Collection, Gift of the Estate of Dorothy Macpherson des Ie mois de septembre 1948, et mine, de ce fait, sa carriere quebecoise. Peu d'amis ou de collegues viendront ason secours. Persanne ne pourra veritablement l'aider. C'est que Ie Quebec du milieu du siecle n'est pas I'endroit ideal pour les artistes novateurs. L'heure de la Revolution tranquille n'a pas encore sonne, Borduas etant en ce sens en avance de plus d'une decennie sur son temps. A-t-il manque de discernement? Sans doute pas, car il a mis ses convictions de I'avant; il a tout de meme joue avec Ie feu. Selon Jean EthierBlais , «Borduas n'a pas su analyser concretement Ia situation politique et psychologique du Quebec dupiessiste de 1948. 11 a agi comme ces membres de l'intelligentsia qui, pres du pouvoir, estiment que Ie role de celui-ci sera toujours de leur pardonner leurs frasques, sans soupc;onner que Ie premier souci d'un gouvernement; c'est de durer. Paul Sauve (l'homrne du futur (desormais ») a sevi, sans doute pour eviter la contagion et, selon les meilleures traditions, pour rappeler a l'ordre. Borduas S' est retrouve, a l'automne de 1948, chef de groupef certes, mais d'un groupe sans influence veritable sur son destin immediat et sur celui des siens » (Ethier-Blais, 158). Sa vie est comme l'echo, a presque vingt ans de distance, d...