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}60 LETTERS IN CANADA 19B} Poesie CAROLINE BAYARD L'autottilisme est d'hier, Ie nouveau Iyrisme est d'aujourd'hui. Ce qui aura ete dit cette annee de plus revelateur sur la poesie quebecoise n'aura pas paru dans les volumes du Noroit, des Herbes rouges ou de I'Hexagone mais aura figure ala une des revues, dans les guerres qui se livrent iI travers les colonnes de Spirale et Lettres quebecoises, par Ie biais des discours de remise de prix (voir I'intervention de Lucien Francceur lors de son obtention du Prix Emile-Nelligan). C'est Iii que se produisent les dechirements, edats, ruptures, et demarcations. L'esclandre Ie plus spectaculaire et la dichotomie la plus visible auront sans doute ete causes par l'exposition 'Crucifixions' du peintre, et poete, Fran,ois Charron. Je parlai l'an passe du retour en force du Iyrisme et du sacre. Pour cause. 'Crucifixions: dans Ie champ du visuel au, si I'on prefere, de la narrativite spatiale, eut l'audace, !'impudence pour certains, de reintroduire les theologiques schemes du passe. Horreur et fureur du c6te de la modernite. Suit un article d'Andre Beaudet, poete dont on reparlera d'ici peu, sur lesdites 'Crucifixions: dans Spirale. Voyons-en plut6t quelques extraits: Ainsi Fran~ois Charron, asa manit~re reaffirme la solennite de }'evenement: Et Verbum cara factum est, atravers Ie signe visible d'un invisible dont i1 manifeste l'incarnation. Par ce traitement de l'eiement religieux, son travail pictural mantre l'irreductibilite du Mal. Felix culpa! D'aucuns diront: mais qU'arrive-t-il aFran<;ois Charron? D'autres, plus aptes al'esprit de reduction, se contenteront de dire que tout ~a n'est que de la litterature puisque Charron n'est qu/un ecrivain qui, 11 I'occasion, donne dans la peinture. Comment pourrais·je, amon tour, faire entendre que Charron, avec Crucifixions, est dorenavant parvenu aune experience cruciale? Que Ie corps scriptible dont la litterature et Ia peinture portent trace selon des moyens differents, donne peu alire, ne se fait pas voir? Consequence de cette reflexion sur Ie scriptible et l'irreductible, la moitie du collectif de Spirale demissionne. Exit des indignes et justification de leur indignation: S'il est possible de trouver dans SpiraJe un semblable texte, rien ne naus assure des positions qui pourront y etre defendues dorenavant. Lorsqu'on croit necessaire de refieter tous les courants qui traversent la societe, on Sfexpose, sous pretexte de llberalisme, adevenir l'instrument de tous les pouvoirs en place et asacrifier la presse d'opinion au mythe de la neutralite ideologique. potSIE 361 En ce qui nous conceme, nous pensons 'qu'il n'est jamais trop tot pour nallS demander: "et si finaiement, c'etait ~a?", mais qu'il sera toujours beaucoup trap tard pour coostater: "c'etait done <;a!'" S'agit-il de vaines querelles? de disputes steriles entre 'chapelles: Ie laique versus Ie sacn~? la nouvelle ecriture contre les nouveaux convertis? Ie pluralisme contre I'autocratisme? Oui, saufqu'ici Ie pluralisme n'est pas la caracteristique de la modernite, et que I'autocratisme (Hsons ici la vertueuse indignation) serait plutOt dans les rangs de I'avant-garde, I'ouverture aunailleurs imaginatifparmiles tenants du nouveau Iyrisme. Quoi qu'en soit, les echanges et les escarmouches sont interessants, les fureurs circulent, l'energie vitale aussi. Vivent les differences et bravo pour les contradictions. Qui nous en dira autant entre Toronto et Vancouver? i\ quand des echanges tonitruants entre les reveurs ecologistes de la cote Ouest et les apres theoriciens d'Open Letter? A d'autres Heux! Ce qui n'empeche pas Francceur de maugreer abondamment sur la lethargie actuelle quebecoise Gean-Marc Piotte, lui, aura parle de morosite). Et ce que dit Francceur n'est pas depourvu de justesse. II epele les Heux communs du danger: Les auteurs sont confines dans leur territoire, voire dans un ghetto culturel. Ils gravitent toujours autourdes memes revues, cela devient suffocant. Moi, j'ai la chance de m'oxygener par la chanson et par I'aller-retour entre Montreal, Paris et la Californie. Je peux me remettre en question et aussi me confronter aune autre litterature. lei/ les demarches deviennentde plus en plus individuelles, la complicite est apeu pres inexistante. Comment, alors que dans les autres domaines camme la politique, la culture et l'education, on est en pleine lHhargie. Et voir plus loin ces breves et ameres reflexions sur la moderrute: Le theme de la modernite a ete galvaude. J'essaie de I'utiliser prudemment. Quant au concept, il est synonyme de renouvellement perpetuel et de revolution permanente. Chaque fois que des gens tentent de prendre des positions contraires aux positions officielles, nous assistons de nouveau ala querelle entre les Anciens et les Modemes. Etre moderne en 1984, c'est aussi se pencher sur sa propre demarche d'ecriture, en refusant toute appartenance a une ecole ou un mouvement. ... J'apprends egalement la madernite apartir des ecrits de Deleuze. Ce philosophe a reussi a me faire comprendre mon apparlenance al'Amerique. Mille plateaux est un livre fondamental auquel je reviens sans cesse. Etre moderne, c'est se reserver, camme dit Deleuze, quelques lignes de fuite pour etre en mesure de se surprendre et de surprendre les autres. L'effet-cameleon. )62 LETTERS IN CANADA 19B) Au centre du probleme: Ie silence de la jeune generation. Son absence des lieux de parole. L'absence d'une revue qui prendrait la nouvelle releve, qui 'marquerait la rupture par rapport ~ l'autre generation, comme La Barre du jour dans les annees 60' (Francreur encore). Et Ie rockeur sanctifie de souligner Ie retour en force de ce qu'il denomme Ie romantisme chez les jeunes auteurs fran~ais. Et I'absence d'une mise au point possible sur la situation quebecoise. La justesse des reflexions de Francreur n'est plus ~ prouver. Mais il y a peut-etre des explications 11 chercher. II est vrai que la generation de la Nouvelle Barre du jOllr n'est plus de la toute premiere jeunesse. En fait sans avoir atteint Ie canonique, elle est probablement arrivee - en annees au moins et en ancrage social - 11 l'etape qu'avait rejointe celie de Liberte au debut des annees 60. Au moment 00. Nicole Brossard, Roger Soubliere et France Theoret etaient precisement determines ~ se demarquer par rapport aux Jean-Guy Pilon, Paul-Marie Lapointe et Cie. Les roues tournent et les problematiques ne se ressemblent pas ... tout en presentant de curieuses et symmetriques similarites structurales. Ce n'est pas que les moins de)o ans soient inexistants (lisez invisibles), c'est surtout qu'il n'est plus aussi facile de faire surface dans un univers 00. la publication commence ~ ressembler 11 une peau de chagrin. II faut fouiller pour les trouver. Aller voir du cote de I' Ecritoire, la revue d'ecriture de I'UQAM, enqueter vers les Editions de la folie furieuse. Surtout ne pas s'arreter ~ ce qui est present ou visible. A l'institutionnalisation et la respectabilite des maisons d'edition maintenant solidement etablies (Ie Noroit, les Forges, les Herbes rouges) et les revues dont la visibilite est evidente (Les Herbes rouges, La Nouvelle Barredu jour, Estuaire.) La production de 19B) parait s'etre choisi deux axes, ou pour simplifierun peu grossierement peut-etre - deux champs de developpement tres distincts. L'un auto-reierentiel, Ie texte etant replie sur lui-meme, sur son propre fonctionnement interne et structural; l'autre etant ouvert ~ des pulsions plus politiques, historiques meme, ~ I'evenementialite de la planete, du Quebec, du couple, des amis, du tissu social. La repartition entre les deux options ne suit pas de logique previsible ~ l'avance. Fran~ois Charron par exemple, actif au cours des annees 70 au sein de Chroniques et attentif aI'elaboration d'une pensee marxiste-leniniste au Quebec, a prefere I'autotelicite avec Je suis ce que je suis (Herbes rouges). Par contre Paul Chamberland qui avait donne l'impression d'un certain eloignement par rapport a la contemporaneite, depuis les annees 70, revient en force avec AMatoire instantan~ & Midsummer 82 (Les Forges), et se tourne non pas vers l'ancienne Egypte ou les volutes du desir mais comme Ie titre du volume I'explicite, l'immediatete du vecu, I'aujourd'hui et Ie maintenant. Meme directionnalite chez Claude Beausoleil et Une cerlaine fin de siecle (Le Noroit) 00. Ie temps est aux recapitulations ironiques, aux regards jetes par dessus l'epaule et sur l'histoire. Negligence etudiee, dandysme et serieux. Ces choix surprennent. lis nous prouvent a quel point les categories, les schemas, les repertoires et les ismes sont fallacieux lorsqu'on considere les individus plutot que les mouvements. Les ecrivains ne sont pas enfermables et ni Charron, ni Chamberland, ni Beausoleil ne se sont comport.!s de maniere previsible en 1983. Regardons specifiquement ceux de ces textes qui se sont fait regard sur I'histoire, qui ont ose I'extraversion. L'oxygene ne manque pas dans Une certaine fin de siec/e et la geographie de la vaste planete non plus. Le texte se lit souvent comme un journal de voyage, des notes jetees dans I'au-fur-et-a-mesure de villes europeennes, californiennes, latino-americaines . Sauf que Beausoleil a lu Gerard de Nerval et qu'il a probablement sourl des mensonges (plus vrais que Ie factuel de Chateaubriand). Beausoleil sait que les baJisages sont nombreux et resserres, que la litterature a tout dit et que les explorations se font rares. Et cependant se deplace une enfantine legerete dans ces verso curieux paradoxe, puisque les fins de siede et specifiquement celie qui se mire ici dans la notre, la generaci6n de la noventa y ocho, celie de fin de siglo - Miguel Unamuno, Antonio Machado et Cie - ne brillait pas exactement par sa desopilance. Ce qui ne veut pas dire que Beausoleil soit incapable de serieux. Profondeur et enfantillages sont les tonalites jumelles et inseparables de ce volume qui amon avis se decoupe comme Ie plus fort, Ie mieux articule de toute sa production. Le fameux 'nous reviendrons comme des Nelligan' boucle une epoque et simultanement se fait fenetre sur une autre. Cest la modernite qui prend acte du passe. Pour la premiere fois se retourne vers lui. Avec une presque nostalgie. Cest Ie nouveau Iyrisme qui se fraye un passage sur 1984. naus reviendrons camme des Nelligan dans des paillettes et des espaces urbains camme des voix brisees de nuit dans des mots et des iets que transforment les choses ncus reviendrons camme des rocks lents des musiques traversees d'audace des rythmes que la ville balance au-dessus des reves et des demesures naus reviendrons par les ruelles ncus reviendrons au centre des buildings ncus parlerons camme des livres naus rirons dans Ie creux des reves naus referons Ie trajet des ruptures naus reviendrons sur des vaisseaux d'or camme des sourires sur Ie highway comme des phrases inattendues nous reviendrons comme des images ~pris des sons et des corps fous pres des formes qui parlent ameme les bars et les alcools dans des conversations qui s'etirent dans des livraisons de demiurges nous reviendrons comme des romances ameme Ie vin des suites et des ellipses • meme Ie partage et la fuile ameme les vitrines et les amis ameme la douceur des metaux el Ie souffle des mots n y a trop a decouvrir dans ce texte, ouvert qu'il est a la curiosite des villes, au pOids-craquements de la vieille Europe, a la lisse plasticite du mur du Pacifique. Et qui l'est avec un rire amuse. Conscient de l'experience exotique, de tout ce qui a ete dit et trop dit - 'enchantement! emoi! badine apotheose' (Paul Morin). Mais les risques reels et les fruits du courage, c'est dans la fameuse 'Partie supplementaire' qu'on les trouvera. Le hockey du samedi soir et Ie territoire de la fin des annees cinquante. Doug Harvey, maman rivee ala television et les chips devores par un petit gar~on en pyjama. L'allegorique aboutit la et Ie sens global de 1a quebecitude et de 1a nord americani!e y son! vio1emmen! cernes. deuxieme periode: donc dans un espace qui fait surface et sur cet horizon coUectif signer l'individu Ie croire au large des lignes les rouges les bleues [sic] maculant les blancs une irenesie du jeu avec la patience de l'histoire ils etaient des heros permutes des dieux goalant avec la mort les frontpages des journaux comme iconographie irrHutable ils s'avanc;aient mythiques presque irreels pourtant I. sur l'ecran dans la salle dans la cuisine pres des bandes dans Ie salon SOllS les spots sur les cartes ajouer sentant encore la gomme rose spectres-idoles remplis du tout remuant I'energie sous la lame necessaire arelier les mots et les gestes Paul Chamberland dans Alea/oire ills/alltallt! & Midsummer 82 (Les Forges) se centre davantage sur Montreal que Beausoleil et ici c'est mains la geographie que la geopolitique qui compte. Le narrateur erre entre Saint-Urbain, Mont-Royal et I'avenue du Parco Et vit simultanement la manifestation monstre anti-nudeaire de New York, printemps 1982, les nuages de fumee de Beyrouth, I'imaginaire du Salvador. Chamberland avait deja travaille Ie collage-montage de l'actualite, les decoupures alignees en trompe-I'ceil. Mais jamais hors du journal, jamais dans Ie tete-a-tete avec son propre texte, Ie tete-a-tete avec cette ville precise ou il ne marche pas en aveugle, au il est present, attentif, observateur lent du samedi apres-midi. Mais simultanement it I'heure d'autres univers qu'il ne veut, ni ne peut, bannir de son regard interieuret qui Ie suivent en se surimposant it la narrativite immediate des jeunes motocyclistes se rangeant pres du pare Qutremont. La successivite temporelle et spatiale est brutale, saccadee, epuisante de I'ete 82 it i'ete 62, la camera tourne trop vite et respirer nous ne pouvons: achaque fois tout est singulier, et parait absolu, jusque dans la faille du souffle ou nous surprend l'eveiI. NallS ne sommes pas peu fiers, nous sommes respires par l'envergure qui LA FAMINE GUETTAIT LE NORD DE LA TANZANIE aVarsovie, place des Victoires, la milice dispersait agrands jets d'eau des centaines de manifestants pendant que Brejnev et Jaruselsky s'entretenaient au Nord de la Mer Noire 'sallS Ie signe de Ia serenite' Le 17 aout, ala Bourse de New York, I'indice Dow Jones grimpait de 39 points, bond sans precedent dans toute son histoire (la prose est Ie long intervalle du deuil) morte il ya vingt ans quel temps faisait-ille 6 aout 62? on la disait seule et desesperee elle venait d'etre renvoyee du studio acause de ses nombreux retards trouvee morte, une overdose de somnif~res suicide? accident? meurtre? 'on ne Ie saura jamais' son journal a disparu tout de suite apres sa 366 LETTERS IN CANADA 1983 mort aujourd'hui quelqu'un s'en porterait acquereur pour 100 ou 200,000 dollars 'toute la verite', sur elle, sur sa fin, tiendrait a un lexie, derobe, absent Ie mythe, construit sur l'image, depuis les 'photos de calendrier', s'ach~verait en un 'demier mot', sur de l'ecrit l'inaccessibilite de la star: mieux defendue que jamais dans son texte journal intime oD. seraient consignes les dessous, I'histoire secr~te de l'Amerique ace moment-Ia: les Kennedy, Ie complot de la C.I.A., Castro, la Baie des COellO»S, les fusees sovietiques Trop de saccades, de sursauts, de secousses, tel est Ie reproche qu'on a envie d'adresser II ce texte, provocant, nerveux, mais depourvu de la longue et plus eloquente respiration d' Une certaine fin de sieele dont la trame est plus travaillee, plus elaboree, plus recherchee. Rockeurs sanctifies (L'Hexagone) de Luden Francceur, qui aura valu II son auteur l'octroi du prestigieux Prix Emile-Nelligan, n'est pas sans rappeler Ie Chamberland des annees 70, typographiquement, visuellement et semantiquement. Tourne vers !'autre decennie plutot que vers la presente, ce volume est une recapitulation explicite de tout ce qui aura He fait avec la mise en page, !'image, la photo, la citation entre 1968 et 1980. Temoignage-compilation, resume totalisant, telle pourrait etre sa definition . Le rock, Rimbaud, Mallarme, l'ancienne Egypte, Maldoror tout y passe dans une sorte de sainte macedoine exuberante. Je ne suis pas si sure qu'on puisse parler id d'ouverture au monde, plutOt que d'un eclatement du monde sur la page. L'anti-ghetto par excellence. Plus raisonnable aura ete Sarzenes (Les Forges) de Gerald Godin. Mais peut-Hre que les ministres sont necessairement plus raisonnables que les chanteurs de rock. Bien qu'ils aient tout aussi necessairement plus mauvaise presse. Les sarzimes sont des pierres utilisees dans les alignements megalithiques celtes, nous informe I'auteur. Un terme plus connu est celui de menhirs. Detail etymologiquement curieux, sarzene vient de Sarrasin, equivalent d'etranger dans la Gaule de cette periode. Et les pierres nommees ainsi Ie furent probablement a cause de leur etrangete. Rien d'etrange pourtant dans Ie texte de Godin. Plut au del qu'il en soit ainsi. Nous sommes ici au cceur d'une ecriture idiomatique, candide, familiere, simple (un peu trop parfois), emouvante (quelque- {ois), surtout 'octubre' Ie seul poeme en anglais (mais pour cause), que je ne puis me resigner II omettre, ni atronquer: OCTUBRE They followed me they taped me they spied on me they tripped me they broke-in on me they fell down on me they hooked me they trapped me they arrested me without a warrant without a reason without a word without a look and they frisked my brain they jailed me they banned me they exiled me they laughed at me they tried to destroy me and there was a big silence around here then there was a sort of continental silence all my friends had left town none of the usual talkers could find his words or his breath none of the usual writers could find his pen or his ink but still I am here tonight and I am gonna be here for a long long time decades and decades after they'll have disappeared from here i'll be hanging around looking for justice looking for peace looking after my brothers and sisters Sarzenes n'est jamais un texte tres fort, ni tres marquant, ni inoubliable, mais c'est celui d'un honnete homme. Et rhonnetete a sa maniere a elle de demeurer, de se faire calmement entendre. Sans pretention, Ii distance et en retrait du brouhaha general. Lucidement la, meme si la maladresse n'est pas absente de sa candeur. II ya des pierres aussi dans Pensees du poeme de Madeleine Gagnon (VLB editeur). Des objets menus, fragiles, tenaces qui sont la metaphore du recueil: Je nommerai aussi ramethyste celie que j'avais perdue et retrouvee pas seulement en reve 368 LETTERS IN CANADA 1983 je nommerai rna pierre mes pierres celles qui pensent et qui me font songer ceIles que je travaillerai les sculptant les gravant les dessinant a}'encre de chine ceIles que j'ai ramassees camme t;a me promenant Ie long des greves a travers galets et gaillettes ou bien dans les montagnes rocheuses sans DubHer les marbres de l'Abitibi Pas la plus frappante de ses creations mais des aphorismes et reflexions sur i'univers mineral et humain. De fins bibelots bien tailles par un artisan patient de i'ecriture. Je suppose que me manquent ici i'emportement de Pour les femmes et pour tous les autres, au la savante progression d'Au cceur de la lettre. Et pourquoi ferait-on mouche ataus les coups? Parmi les jeunes poetes qui publient aux Forges, Ie plus interessant cette annee aura ete Rene Lapierre avec Profil del'ombre. Pointde metier ici encore, ni la griffe du savant dessinateur, mais d'interessants equilibres, un curieux sens de la recherche, de i'exploration, un regard attentif au souffle de la planete, a une nouvelle Apocalypse. Mais mes termes faussent Ie probleme. lIs n'ont rien de theologique chez Lapierre, rien du mot d'ordre politique non plus. lIs sont cinematiques pluto!. Sortis d'une imagination nerveuse et fraiche, d'un grand eveil au visue!. Voir 'Planete' par exemple: moisson seche jour brulant contre nos pas remplis de peine contre nos yeux dominant les larmes et voyant Ie desert et plus loin encore et croyant obstinement que la terre est une forteresse et que nos mains n'y seront pas inutiles la planete tourne aut~ur du jour immobile Ie del est vibrant ou 'Apocalypse': maintenant que les hommes d'armes se sont faits ala terreur ils ant les yeux ouverts et ils ne veillent plus leur vie se passe sommeilJante aux tours noirdes au guet muet ils Dnt de la memoire et ils ne parlent plus leur temps de paille a bride II est des fraicheurs qui ne durent pas, des intensites qui s'emoussent. II faut vouloir I'oppose pour Rene Lapierre et attendre Ia suite. Que s'est-il passe sur l'autre versant? quels ont He Ies developpements de l'ecriture-autarcie, de I',kriture narcissique? Mots qui regardent Ie je. Qui regardent Ies mots. Je et moi multiplies a I'infini dans un jeu de miroirs. Les deux plus frappants narcissismes nous viennent de Felix culpa d'Andre Beaudet (Les Herbes rouges) et Je suis ce que je suis de Fran~ois Charron, chez Ie meme editeur. Ni I'un ni I'autre n'emporte ma radicale adhesion et l'etouffement me (nous?) guette a chaque toumant de phrase. Neanmoins je serais malhonnete de ne pas leur avouer une candide admiration devant leur metier, leur habilete, leur decisive determination acoincer Ies mots, sans quartier libre, sans pitie, couteau au poing. Beaudet est particulierement incisif. Felix culpa est une longue Iettre d'amour aune femme et une Iettre de rage al'existence: Me voici seul dans la nuit, jamais assez seul, bien chambre dans rna nuit qui n'est la nuit que par defaut, et pourtant je demeure sans abri. n y a des annees (a quai bon les compter?) que je passe ainsi chaque nuit a rna table et chaque nuit OU je m'attable s'etonne de la nuit qui la precede. ... Je delaisse les autres, la quietude des autres, ala possession tranquille de leurs reves qu'ils surmontent mal. Ie m'eloigne de I'existence, tendant vers ce point de disparition que j'entrevois. Mais ce n'est pas si simple. L'execution de ce passage exige Ie contact avec tout ce qui dans cette existence me souleve Ie cceur. Je saute atravers I'existence, tempo rubato. La premiere Iettre n'a jamais de voix, Ia deuxieme ni reflet ni presence. Le je tourne concentriquement sur Iui-meme, rien n'est resoIu, ni jamais 370 LETrERS IN CANADA 1983 resoluble. Pourtant, l'intensite de Beaudet demeure. Plus convaincante que la voix de Fran~ois Charron cette fois dont Ie defi adolescent ne s'est pas trouve d'inflexion convaincante. Plus de recherche chez Renaud Longchamps avec Miguaska (VLB) et une tenace volonte exploratoire par I'ecriture. Le texte se dessine en epigrammes laconiques, breves stances de 2 ou 3 vers: S~parer ce sens, Ie creux de la matiere. Tu roules l'energie sur I. symetrie. Se construire car me dire aussi sans chaines. Le cache en nous, parentheses entre tout. L'univers sans sa foncticn, reste Avoir. L'eau comme armature de )'eau. Ces liens, toujours ces liens et Ie temps De se croire neuf sans s'ajouter. L'insolite est absolu, Ie laconisme presque trop radical pour basculer soit dans I'humour, soit dans Ie tragique. Pourtant la densite aveugle, sourde et methodique des terrnes donne envie de poursuivre, dans une quete necessairement de~ue mais tetue. A suivre. Du metier aussi, beaucoup, chez Pierre Nepveu et son Mahler et autres matieres (Le NoroH). Le debut en est foudroyant: ". Et je sortais chaque nuit dans une societe perverse dont j'etais l'equilibriste, mais la loudre ne dure pas, meme si I'equilibre, lui, reste surla corde raide. La tentation etait curieuse de donner une narrativite A Mahler et la capacite de ciseler des mots: La nature fut soudain comme une immense rage aut~ur des antennes, des cathedrales, des h6pitaux tranquilles. Comme un roman qui avait tout son temps pour me detruire. 11 n'y aurait plus de demiere symphonie pour exprimer rna peur. Ma musique bJessee, ravagee, rna foire et mon saint-sacrement, tout cela me condamnait a perpetuite. Mais que Mahler soit une premiere ou une troisieme personne, I'univers remue au loin, tres loin, indistinctement. La deterioration et les douleurs se situent dans une interiorite non ouverte, lovee sur elle-meme et difficilement epelable. L'aventure valait la peine d'etre jouee, meme pour finir en echappatoire. POESIE 37" EI pour clore Ie choix de l'aulolelicile, il faudrail menlionner deux lexles de deux jeunes auleurs, deux ecrilures qui se cherchenl el se lrouvenl parfois dans des percees audacieuses, fussenl-elles ephemeres. Marie Belisle esl Ia plus assuree des deux avec Noces (NoraH) el elle exprime un futur donI on ne sail s'il esl reve au adresse aun absenl. trouverai-je parmi les personnages celui qu'il vallS suffira ct'etreindre au creux des clairs-obscurs que n'~tes-vous passe devant moi ce jour de solei! blanc quand les mers tongues d'autornne lechaien! vetre fenetre vatre iris Le visage de eel elre esl indelerrnine, sa voix el ses conlours incerlains, mais l'attenle esl inleressanle, aulanl que Ie vous passionne adresse a celIe personne: case vide/case derivee. Ille (Le NoraH) de Richard Phaneuf n'a pas l'apre economie de Noces. Mais Ia voix qui se cherche el Ie visage qui a du mal afaire face ason propre desir anI Ia delermination des adolescenls amoureux de I'amour, plus que de qui que ce soil d'aulre: parler de mon visage pierre de pave sur laqueUe on griffe ses humeurs pierre de nuit tout l'ete parole de pierre Ie son sur les dalles rna peau de nuit touchee au cceU! meme d'une rue nuit des pierres Ie dment entre chacune d'elles j'ouvre I'ecrit et la dechirure (plus loin plus loin) mes os battent Ie brouillon I'echo sur la place 372 LEITERS IN CANADA 1983 a peine un langage Ie temps des mots Ie temps d'une blessure il me taut les distraire ces mots durcis Autarcie courageuse aussi dans La Mise en chair (Le NoroH) de Jean-Yves Theberge. Point d'adolescence ici, mais determination tenace: J'arrive pour nous liberer de taus les pecMs de Chiniquy sur ton ventre et mon dos laves par Ie printemps comme coule I'acer saccharum seve que j'appelle vagin varech Ollvert SUI l'infini de la main ala bouche II Ya un peu trop de citations dans la Mise en chair, Ie desir de s'appuyer sur les autres (Gatien Lapointe, Hubert Aquin, Andre Langevin). Mais (qu'importe la sagesse des autres?) on a envie de secouer les oripeaux claquant au vent et d'exiger de Theberge moins de collage-savoir, plus de risques et de travail individuels. Ce qui se degage de 1983 etait contenu en filigrane dans les remarques de Francceur (Lettres quebecoises, Printemps 1984). La poesie quebecoise a Ie desir et Ie besoin de s'oxygener. II est des pulsions planetaires auxquelles on ne saurait etre ni aveugle, ni sourd. Le texte love sur lui-meme a fait son temps, I'histoire est it la porte. Nul ne raura mieux per~u, ni vecu la distance entre ces deux poles que Claude Beausoleil avec Unecertainefin de siecle. On dirait que la nouvelle ecriture a fait ses comptes et que ses tenants ont boucle une longue arabesque pour finalement aboutir au Iyrisme, aux promesses du futur simple. Nous reviendrons peut-etre comme des Nelligan et comme des rocks lents mais la modernite ne sera pas comme la femme revee de Beaudelaire, 'ni tout it faitla meme, ni tout afait une autre.' Drama JOHN H. ASTINGTON If no major play appeared in print during 1983 there were some satisfying and appealing achievements among a very varied crop, including two new scripts by George Walker, new plays by James Reaney and Margaret ...

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